Blues in France copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Clifton Chenier (rubrique « Un blues, un jour ») et Lil’ Red & The Rooster (rubrique « Blues in France).

Chenier 1

© : AllMusic

En partant le 12 décembre 1987 à l’âge de 62 ans, le chanteur et accordéoniste Clifton Chenier a laissé un grand vide dans le paysage du zydeco en particulier et de la musique populaire américaine en générale. Dans son style qui nourrit une des traditions musicales louisianaises les plus captivantes, il demeure le plus influent. Dans mon article du 9 décembre dernier sur Amédé Ardoin, pionnier de la musique cajun, j’évoque succinctement les origines de ces deux courants (qui se mêlent souvent !) que sont cajun et zydeco. Né le 25 juin 1925 aux Opelousas, dans une région qui n’est pas si loin que ça du Mississippi (au nord) et du Texas (à l’ouest), Clifton Chenier sera très vite au contact des différents courants musicaux qui occuperont une part plus ou moins importante de sa musique, du blues au R&B, en passant par le rock et même le jazz. Il est en outre issu d’une famille musicale, avec un oncle multi-instrumentiste et gérant de club, un père accordéoniste (qui lui apprendra évidemment à jouer), un frère joueur de frottoir (qui sera membre de son groupe), sans oublier sûr son propre fils CJ Chenier, qui continue d’entretenir la flamme !

Chenier 2

© : Discogs

Il commence à se produire avec son frère Cleveland, et à partir du milieu des années 1940 il se déplace pas mal, à New Iberia, à Lake Charles et finalement à Port Arthur au Texas. En 1954, il entre pour la première fois en studio pour le label Elko. Il a 29 ans mais n’est manifestement pas très connu de la marque bien négligente qui orthographie son nom Cliston Chanier, et le titre de la face B de son premier single Cliston Blues ! Le blues est donc présent dès ses premières faces, aux côtés de pièces plus brutales et de ballades louisianaises teintées de R&B. Dans les années 1960, il signe pour le label californien de Chris Strachwitz et sa musique va évoluer. Strachwitz souhaite qu’il se rapproche de sa culture et des traditions culturelles en chantant en français, ce que Chenier rechigne un peu à faire (Ay-Tete Fee, soit Eh ! Petite Fille, en 1955, est une exception), comme son fils me le révélera dans une interview en 2014 en vue d’un article publié dans le numéro 215 de Soul Bag. Mais il finit évidemment par céder, ce qui enrichit encore son répertoire déjà très étendu. Et quand on regarde la liste de quelques-uns de ses morceaux phares dans les décennies suivantes, on s’aperçoit que français et anglais font meilleur ménage : Why Did You Go Last Night, Zydeco Et Pas Sale, Jolie Blonde, Zydeco Cha-Cha,Bogalusa Boogie, I’m Coming Home, Bon Ton Roulet, Oh Negresse

Clifton 3

Image tirée du film de Les Blank, Always For Pleasure (1973).

Clifton Chenier, depuis longtemps adulé et considéré comme le roi du zydeco (un titre mérité), va se constituer une discographie d’un haut niveau quasi uniforme. Bien que diminué dans ses dernières années par un diabète invalidant, il est resté actif jusqu’au bout. Ses principales récompenses (souvent des premières pour un musicien créole) reflètent à la fois son influence et la reconnaissance dont il bénéficie : Grammy Award en 1983 pour son album « I’m Here! », National Endowment for the Arts en 1984 (la plus importante distinction pour un artiste aux États-Unis, ce qui lui vaut de jouer devant le président Ronald Reagan à la Maison Blanche), et à titre posthume entrée au Blues Hall of Fame (1989), au Louisiana Music Hall of Fame (1989), Grammy Lifetime Achievement Award (2014) pour l’ensemble de sa carrière… Pour aller plus loin, il est donc bien difficile de faire un choix objectif, Chenier n’ayant rien fait de négligeable. La sélection qui suit est donc purement indicative… J’ai choisi pour mon émission une magnifique version de I’m Coming Home, tournée en 1973 dans le cadre du non moins magnifique documentaire de Les Blank, Always For Pleasure.

Chenier Frémeaux

« King Of Zydeco: The Rhythm And Blues Years 1954-1960 » (Frémeaux & Associés ». Ses premières années… Dans ma chronique publiée dans le numéro 229 de Soul Bag, j’expliquais que tout était déjà en place, et je parlais de zydeco festif et brutal, de ballade louisianaise, de frénésie et d’urgence, de blues poignant, sans oublier des choses effectivement rattachées au R&B avec les musiciens de Phillip Walker. Fondamental.

 

Chenier Arhoolie 1

© : Discogs

« Louisiana Blues and Zydeco » (Arhoolie, 1965). Son premier album pour Arhoolie, et déjà des classiques comme Eh, Tite Fille, Zydeco Et Pas Sale, Louisiana Two Step, Louisiana Blues

 

 

Chenier Arhoolie 2

© : Discogs

« King of the Bayous » (Arhoolie, 1970). Le repertoire s’étoffe avec désormais une grande variété et plus de place pour les pièces dansantes traditionnelles chantées en français. Contient aussi l’inoubliable I’m Coming Home.

 

 

Chenier Arhoolie 3

© : Discogs

« Out West » (Arhoolie, 1974). Un album un peu à part dans sa discographie, avec des invités comme Elvin Bishop et Steve Miller qui accentuent le côté blues et même rock. Une preuve des grandes capacités d’adaptation de Chenier…

 

 

Chenier Arhoolie 4

© : Discogs

« Bogalusa Boogie » (Arhoolie, 1976). Un grand album de zydeco, enregistré en quelques heures le 27 octobre 1975 !

 

Chenier Live

© : Discogs

« Cajun Swamp Music Live » (Tomato, 1978). Enregistré en public à Montreux en 1977, d’ailleurs aussi réédité sous le titre « Live in Montreux ». Chenier expose son art face à un public européen médusé, avec notamment l’exceptionnel guitariste Paul Sinegal (hélas orthographié Sinagel sur l’édition originale…).

 

Chenier Grammy

© : AllMusic

« I’m Here! » (Alligator, 1982). L’album qui lui vaudra donc son Grammy. Pas le plus transcendant mais consistant, et offre une bonne approche de son style.

 

Lil' Red Rooster 2

© : http://lilredandtherooster.com

Concernant la rubrique « Blues in France », en termes de blues français, on ne présente plus quelqu’un comme Pascal Fouquet. On se souvient de son rôle au sein des Hoodoomen, mais s’il figure aujourd’hui parmi les guitaristes les plus demandés de l’Hexagone, il a aussi déjà démontré ses aptitudes aux côtés des Anglo-Saxons, notamment le Britannique Drew Davies. En fait, il a multiplié les collaborations ces 20 dernières années et fait le bonheur de bien des formations. Et cela se semble pas près de s’arrêter, car depuis 2017, il sévit dans un groupe nommé Lil’ Red & The Rooster, accompagné de l’excellente chanteuse Jennifer « Lil’ Red » Milligan. Ils ont sorti un album enregistré à Chicago l’an dernier, « Soul Burnin’ », sur lequel, outre Jennifer et Pascal, le casting est royal avec notamment Dave Specter à la guitare et Ricky Nye aux claviers, une rythmique parfaite composée du bassiste Abdell B. Bop et du batteur Denis Agenet, enfin de Shaun Booker, Jeff Morrow et Caroline Rau au chant. Ajoutons, et il faut le souligner, que le duo signe les 12 compositions.

Lil' Red Rooster 1

© : http://lilredandtherooster.com

Le résultat est franchement remarquable, la voix sensuelle et un peu canaille de Jennifer faisant merveille sur une musique dynamique, fraîche et pleine de swing, dans une ambiance cabaret, avec peut-être une dominante jump blues, mais aussi quelques incursions jazzy comme sur Respect Your Sisters et TicToc par exemple. Et la guitare de Pascal se joue avec justesse des tempos et des registres… De toute façon, la variété est au rendez-vous et ces artistes savent tout faire, voir en conclusion le beau blues lent Occupy My Mind… Je vous recommande très chaudement ce CD réussi en tous points, et avec une telle réalisation, Lil’ Red & The Rooster n’ont vraiment rien à envier aux formations d’outre-Atlantique. Je leur tire mon chapeau. J’ai eu du mal à choisir un titre pour mon émission, mais j’ai fini par craquer pour le jouissif Hey Mister Mister, agrémenté de superbes harmonies vocales.

Lil' Red Rooster 3

© : http://lilredandtherooster.com