Top of blues copie

Au programme de mon émission sur YouTube, Carl Martin(rubrique « Un blues, un jour »), et George Lee « Sun Bud » Spears pour les deux Grammys de la rétrospective de William Ferris (rubrique « Top of blues »).

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© : Marc de Jonghe / André Hobus / Stefan Wirz

Carl Martin est né le 1er avril 1906. Il n’est pas le seul dans notre domaine et j’avoue avoir hésité car bien des artistes intéressants sont nés ou décédés un 1eravril, notamment Lonnie Brooks, Lucille Bogan, Amos Milburn, Alberta Hunter ou encore Gil Scott-Heron. Mais j’ai retenu Martin car outre ses aptitudes artistiques, il cumule un certain nombre d’originalités qui méritent d’être considérées. Il est d’abord chanteur et multi-instrumentiste, à l’aise à la guitare, à la mandoline, au violon et même à la basse. Ensuite, son parcours n’est pas banal, car de façon totalement improbable, il a reformé dans les années 1970 un groupe avec les mêmes musiciens qui l’accompagnaient dans les années 1930. Enfin, sa discographie, nous allons le voir plus loin, est pour le moins singulière et inhabituelle…

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Ted Bogan, Carl Martin et Howard Armstrong. © : Es Blues

Excellent représentant du blues de la Côte Est ou Piedmont Blues, Carl Martin vient de Big Stone Gap en Virginie. Son père se faisait appeler Fiddlin’ Martin mais il ne semble toutefois pas lui avoir enseigné les rudiments du violon, et il apprendra surtout avec un demi-frère aveugle bien plus âgé que lui, Roland Martin. Il commencera par la guitare, avec laquelle il sera vite apte à se produire localement avec d’autres apprentis musiciens. Puis viendront successivement la basse et le violon. La mandoline, instrument auquel on l’associe volontiers, viendra en fait en dernier. Mais peu importe, car dès les années 1920, Martin dispose d’un bagage étendu et tourne dans plusieurs États. Ses itinérances lui permettent de rencontrer au début des années 1930 deux autres musiciens de rue (et comme lui multi-instrumentistes) avec lesquels il forme un trio, Howard Armstrong et Ted Bogan. Leur registre emprunte au blues mais également à des genres plus archaïques de la tradition des string bands.

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Howard Armstrong, Carl Martin, Ted Bogan et Tom Armstrong en 1974. © : National Council for the Traditional Arts

Parallèlement, Martin fait ses débuts sur disque dès 1930 mais cette partie initiale de sa discographie est assez difficile à retracer. Ainsi, le 3 avril 1930, il apparaît à la basse sur le single d’un trio (avec son demi-frère Roland et Howard Armstrong), que le label Vocalion désigne sous le nom de Tennessee Chocolate Drops dans sa série « Race » et Tennesse Trio dans la série « Hillbilly » ! Quatre ans plus tard, tout en se fixant à Chicago, il accompagne probablement à la guitare Tampa Red, signe cette même année 1934 ses premières faces sous son nom, puis tient sans doute la guitare auprès d’un artiste simplement appelé Amos, autrement dit Amos Easton alias Bumble Bee Slim… Il continue ensuite jusqu’en 1936 avec entre autres Washboard Sam, Freddie Spruell (Mr. Freddie), les State Street Boys qui comprennent Jazz Gillum et Big Bill Broonzy, Jimmie Gordon… Durant cette période 1930-1936, il poursuit sa collaboration régulière avec le violoniste Howard Armstrong, plutôt dans le Sud où ce dernier est retourné, et avec le guitariste Ted Bogan, plutôt à Chicago, mais cette situation ne leur permet plus d’enregistrer des disques ensemble. D’ailleurs, les trois musiciens vont progressivement se perdre de vue et Carl Martin cesse carrément d’enregistrer.

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© : Discogs

 

Dans l’armée où il reste de 1941 à 1945 comme mécanicien, il n’abandonne pas complètement la musique et joue pour les troupes et les officiers, surtout de la mandoline. La guerre achevée, il travaille comme électricien et pendant 15 ans pour la ville de Chicago, qui l’emploie aussi dans la voirie et l’équipement. Il semble n’avoir jamais cessé de jouer, en utilisant d’ailleurs mandoline comme guitare électriques dès le lendemain de la guerre mais sans grande assiduité ni volonté d’en vivre. Il revient toutefois dans les années 1960 avec le Blues Revival, et en 1972, environ 40 ans après, l’incroyable se produit : il retrouve ses copains Armstrong et Bogan et ils reforment un trio avec Martin à la mandoline, Armstrong au violon et Bogan à la guitare. Et les trois hommes ne se privent pas d’enregistrer et de tourner, non sans brio d’ailleurs, avec trois albums à leur actif : « Barnyard Dance » (Rounder, enregistré en 1972, sorti en 2003), « Martin, Bogan and Armstrong » (Flying Fish, 1974) et « That Old Gang of Mine » (Flying Fish, 1978). Il faut y ajouter « Carl Martin (1930-1936) – Complete Recorded Works in Chronological Order » (Wolf, 1988) et de superbes faces de 1965 et 1966 sur une compilation que Martin partage avec John Wrencher, John Lee Granderson et Johnny Young, « Crown Jane Blues » (Testament, 1997). Carl Martin décède finalement en 1979 à 73 ans. J’ai choisi pour mon émission un morceau avec Armstrong et Bogan de 1972, sur lequel il chante et joue de la mandoline, Hoodoo Blues.

Pour la rubrique « Top of blues », après un article lundi dernier place au deuxième volet de « Voices of Mississippi – Artists and Musicians Documented by William Ferris », que l’on doit à Dust-to-Digital, et qui comme son nom l’indique porte sur les travaux de collecte de William Ferris dans le Mississippi, principalement dans les années 1960 et 1970. Mais j’y reviens aujourd’hui dans la rubrique « Top of Blues » car elle a obtenu deux Grammy Awards le 10 février dernier. Elle comprend 3 CD thématiques, un sur le blues, un sur le gospel et un consacré à des interviews, mais également 7 films sur DVD et un livre de 120 pages. C’est donc un ensemble très complet et la rétrospective rêvée de l’œuvre fondamentale de Ferris, qui a recueilli les témoignages des artistes chez eux et sur le vif, qu’il s’agisse des enregistrements musicaux comme des entretiens. Je ne suis pas toujours d’accord avec les choix des Grammys mais sur ce coup ils ne se sont pas trompés.

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William Ferris. © : International Delta Blues Project

D’un point de vue purement académique, un Award est donc attribué à Ferris dans la catégorie du meilleur album historique, et l’autre à David Evans dans celle des meilleures notes d’un album. Tout est formidable mais j’avoue un faible pour le CD gospel : vous le savez car les deux extraits que j’ai précédemment passés pour illustrer des thèmes précis en étaient justement issus. Mais comme l’anthologie a reçu deux Awards, j’ai donc programmé deux morceaux issus du CD blues, un lundi 25 mars 2019 et l’autre ce jour, ça le mérite vraiment… Pour aujourd’hui, j’ai choisi une chanson du chanteur et guitariste George Lee « Sun Bud » Spears. Elle s’appelle I Ain’t Gonna Live It No More, s’inspire incontestablement de The Things That I Used to Do de Guitar Slim, mais l’interprétation dans une veine rurale de Spears est superbe et très personnelle.