Réédition semaine copie

Au programme de mon émission sur YouTube ,John Henry Barbee (rubrique « Un blues, un jour »), et Julia Lee (rubrique « Réédition de la semaine »).

Je vous propose de remonter aujourd’hui au 14 mars 1794 pour évoquer un personnage dénommé Eli Whitney (1765-1825), qui obtint ce jour-là un brevet pour avoir inventé la cotton gin, autrement dit la machine à égrener le coton. Cette égreneuse sépare mécaniquement la graine et la fibre, ce qui permet de gagner beaucoup de temps dans la récolte. Whitney, qui vient de Westborough dans le Massachusetts, a vécu après ses études plus au sud sur la côte Est, et en particulier sur la plantation de riz de Mulberry Grove en Géorgie. Outre le riz, on y cultive le coton, et comme Whitney est ingénieux, on l’invite à trouver un système pour faciliter la récolte alors fastidieuse et dès lors peu rentable. En 1793, Whitney met donc au point sur cette plantation sa première égreneuse, suffisamment convaincante pour qu’on lui délivre donc un brevet l’année suivante. La machine permet d’obtenir 25 kilos de fibre « nettoyée » (filaments) par jour, contre 500 grammes par une personne jusque-là !

L’invention de Whitney aura des conséquences considérables à différents niveaux, en premier lieu évidemment pour les esclaves qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre de cette agriculture. Elle va en effet complètement relancer l’esclavage en étant à l’origine d’une importante migration forcée des Afro-Américains vers les États sudistes pour faire face à une demande locale accrue. Ce phénomène va également entraîner une transformation de certaines de ces régions (on pense bien sûr au Delta dans le Mississippi, totalement « déforesté » dans ce but, même si ce sera plus tardif, à la fin du XIXe siècle), où le coton va quasiment devenir une monoculture. Pourtant, l’invention de Whitney ne sera validée qu’en 1807, mais certains propriétaires n’attendirent pas et contournèrent la loi en fabriquant leurs propres machines…

Pour illustrer cela, je vous propose de découvrir le chanteur et guitariste John Henry Barbee, qui a dû cueillir pas mal de coton dans sa vie. Né en 1905 dans le Tennessee, c’était en effet l’archétype du bluesman rural itinérant, qui a parcouru dans sa vie le Mississippi et l’Arkansas avant de se retrouver un temps à Chicago. Il a enregistré quelques faces en 1938 tout en poursuivant ses pérégrinations, pour ne réapparaître que 26 ans plus tard et carrément participer à la troisième tournée de l’American Folk Blues Festival en octobre 1964 ! Puis il est mort moins d’un mois dans des circonstances assez invraisemblables. De retour aux États-Unis, il s’est acheté une voiture (la première de sa vie), au volant de laquelle il a tué accidentellement un homme peu après. Incarcéré à Chicago, il est mort en prison quelques jours plus tard, le 3 novembre 1964, des suites d’une crise cardiaque. C’était un bluesman pourtant un bluesman très intense dans la tradition du Delta, complètement impliqué dans sa musique, comme on n’en trouve plus de nos jours. Comme il a enregistré un album lors de la tournée européenne de 1964 « Portraits in Blues, Vol. 9 » (Storyville), j’ai choisi pour mon émission un morceau en plein dans notre thème car il s’intitule I Ain’t Gonna Pick No More Cotton

 

Ma réédition de la semaine concerne une belle chanteuse et pianiste hélas bien oubliée aujourd’hui, Julia Lee. Heureusement, Jasmine nous la rappelle à notre bon souvenir avec une anthologie de 27 morceaux intitulée « The Very Best of Julia Lee – My Man Stands Out and Other Innuendos ». Née dans le Missouri en 1902, elle a un peu enregistré dès les années 1920 mais elle fut surtout active dans les années 1940 à Kansas City, dont elle fut une figure de la scène musicale. Formée au jazz et au ragtime tout en pratiquant le piano à l’église, dotée d’une voix souple et souvent sensuelle, elle va se distinguer par sa polyvalence en intégrant également à sa musique des ingrédients issus du jump blues et du R&B naissants. Certes, c’était une tendance à cette époque de mutation musicale, encore fallait-il avoir le talent pour s’imposer, c’était bien entendu le cas pour Julia Lee.

En outre, même si on ne saurait résumer son œuvre à ce seul aspect, elle ajoutait une touche personnelle avec des textes délicieux à double sens, notamment orientés sur le sexe mais sans tomber dans la vulgarité. D’ailleurs, le terme innuendos dans le titre de la compilation signifie allusions, sous-entendus… Mon collègue Alain Tomas s’arrête pour sa part sur cet aspect, mais pas seulement, dans le portrait qu’il consacre à Julia Lee dans le prochain numéro de Soul Bag qui paraît demain. L’artiste connaîtra donc plusieurs beaux succès dans la seconde moitié des années 1940, dont quatre Top 5 dans les charts R&B, que l‘on retrouve sur cette anthologie qui offre un excellent panorama de son œuvre. Puis elle enregistrera moins sans toutefois cesser de se produire sur scène. Julia Lee est morte d’une crise cardiaque en 1958 à 56 ans. Dans mon émission, je vous propose de l’écouter avec un titre plutôt bluesy gravé en avril 1949, Decent Woman Blues.

JL 4

© : Discogs