© : Jazz Music Archive.

Cold, cold feeling est peut-être le morceau le plus célèbre de Jimmy Johnson. Et ce soir, nous avons froid. Très froid. Mais il aura joué jusqu’au bout. Comme je l’évoquais dans mon article du 7 janvier 2022, le 11 décembre dernier, à quatre-vingt-treize ans révolus, Jimmy Johnson nous enchantait encore le temps d’une de ses prestations en Facebook Live depuis son domicile. Et le 25 décembre, jour de Noël, il remettait ça, au piano et à la guitare, pour ce qui restera donc sa dernière prestation. Juste après, il était victime d’un léger AVC. Mais il n’y a sans doute pas de léger AVC pour un homme de son âge… Durant tout le mois de janvier, jour après jour, nous suivions les nouvelles données par sa femme Sherry et son label Delmark. Des nouvelles qui firent même renaître l’espoir en nous apprenant que Jimmy était rentré chez lui. Hélas, nous savons maintenant que c’était pour des soins palliatifs. La nouvelle, très mauvaise celle-là, est tombée en cette fin de journée du 31 janvier 2022 : Jimmy Johnson a fini par lâcher prise.

© : Jimmy Johnson Blues.

Des années 1980 aux années 2010, j’ai vu Jimmy Johnson à de multiples reprises, et j’ai même eu la chance de partager des moments privilégiés avec ce chanteur et guitariste incomparable (c’est également un pianiste de bon niveau). Nous savons qu’il a relativement peu enregistré pour un bluesman de sa stature, essentiellement faute de disposer d’un groupe régulier, mais sur scène, quels que soient ses accompagnateurs, il parvenait toujours à imposer sa magnifique voix haut perchée (que l’âge n’altérera jamais, ce qui est incroyable !) et son jeu de guitare délicat mais tranchant. Bien sûr, suite à son décès, Soul Bag n’a pas manqué de publier un hommage sur son site (voir lien plus bas), dont je vous recommande la lecture. Dès lors, je ne vais pas vous retracer dans le détail la biographie de Jimmy, je me contenterai des grandes lignes. Je préfère parler du Jimmy Johnson que j’ai connu, avec deux anecdotes qui me semblent bien résumer ce personnage attachant.

Quand Jimmy Johnson faisait la couverture du numéro des vingt-cinq ans de Soul Bag. © : Soul Bag.

La première se déroule lors de la Nuit du Blues au Summum à Grenoble, probablement en 1989 ou 1990. Avec l’ami Denis Claraz, nous avions prévu de l’interviewer en vue de notre émission de radio Bluesy. Un membre de son entourage nous avait toutefois prévenus : « Ouh la la, Jimmy Johnson, ce n’est pas un type facile vous savez, j’espère que vous vous en sortirez… » Bref, on n’en menait pas large en nous attablant avec le bluesman. Nous avions prévu un entretien d’une quinzaine de minutes autour d’un verre. Clic, j’appuie sur la touche du magnétophone à cassettes. Et dès la première question, la volubilité de Jimmy nous prend de court, il est intarissable ! Sympa, souvent rigolard, il s’arrête sur tous les sujets, sur la musique bien sûr, mais aussi sur ses découvertes en tournée, ses expériences, ses rencontres, le public européen… Et soudain, clac, le magnétophone s’arrête, quarante-cinq minutes sont passées ! Mais Jimmy ne s’arrête pas, il en est à nous expliquer comment il faut s’y prendre pour bien cuire un steak ! La conversation, désormais non enregistrée, se poursuivra un peu et nous quitterons évidemment le « type pas facile » à regret.

Au Chicago Blues Festival en 2019. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.

Deux ans plus tard, Jimmy est encore programmé à Grenoble, mais pour la fête de la musique, à l’extérieur en plein centre-ville, au pied de l’église Saint-Louis. J’arrive en avance, le public est encore clairsemé. Un violent orage s’abat, je cours m’abriter sur le parvis. Et là, je tombe sur Jimmy Johnson !
– Vous me reconnaissez, la Nuit du Blues…
– Pour sûr, on avait parlé un bon moment là-haut (au Summum, les loges sont à l’étage), j’étais drôlement bavard… Ton pote est là ?
– Oui, un peu plus loin, mais il ne pourra pas nous rejoindre, avec cette pluie…
– Je ne vais pas pouvoir jouer ce soir, sinon je vais finir électrocuté !
Effectivement, c’eût été suicidaire. Ce soir-là, je discuterai encore un peu avec Jimmy, qui a visiblement perdu ses musiciens… Mais tout à une fin, on se quitte, il me dit « il y aura une prochaine fois ». Ce sera effectivement le cas. Évidemment, la pluie se calmera, nous attendrons un peu, en espérant que le concert aura lieu. Mais la pluie s’invitera à nouveau… Voilà, le Jimmy Johnson que j’ai connu était avant tout un homme extrêmement aimable et disponible, curieux de tout et toujours prêt à échanger.

En 2020. © : Dianne Bruce Dunklau / Chicago Blues Guide.

Il est donc né James Earl Thompson le 28 novembre 1928 à Holly Springs, Mississippi. Il vient d’une famille musicale (son père était guitariste et harmoniciste), et deux de ses frères, Syl (chant, guitare, harmonica) et Mac (basse) feront également carrière dans la musique. Il a débuté au piano et à l’église en chantant du gospel avant de se mettre à la guitare. Installé à Chicago à la fin des années 1950, il s’intéresse durant la décennie suivante à la soul (sa voix soul blues lui permet), puis revient au blues. Il commence à enregistrer tardivement (cinquante ans) à partir de 1978 des albums, pour le label MCM de Marcelle Morgantini, et déjà pour Delmark. Ses disques s’espaceront ensuite, jusqu’à son dernier réalisé pour Delmark en 2019 (à quatre-vingt-onze ans !), le superbe « Every Day Of Your Life ». Malgré cette discographie peu étoffée, Jimmy Johnson, avec son style très personnel, aura marqué le blues de ces six dernières décennies. Je vous propose maintenant de lire le remarquable hommage très complet de Frédéric Adrian sur le site de Soul Bag, en outre agrémenté de superbes photos et de l’écoute intégrale de deux albums (via Spotify), « Johnson’s Whacks » et « Every Day Of Your Life ». J’y ajoute une version de Cold, cold feeling de 2015.