Pour une fois, cette rubrique n’est pas consacrée à un musicien, mais le personnage dont il est question aujourd’hui ici est de première importance dans l’histoire du blues. Il s’agit en effet de l’auteur spécialiste du blues Paul Oliver, également historien de l’architecture, auquel nous devons quelques ouvrages pionniers fondamentaux. Paul Hereford Oliver naît le 25 mai 1927 à Nottingham, Angleterre, et grandit à Pinner au nord-ouest de Londres. En 1943, il entre à l’école artistique Harrow Art School, une des plus célèbres du monde. Parallèlement, il s’intéresse dès cette époque aux musiques afro-américaines, qu’il découvre dans un camp agricole à Stoke-by-Clare, Suffolk, où il participe à l’effort de guerre lors du second conflit mondial. Les Américains étant alors très présents dans la région, il rencontre l’un d’entre eux, Stan Higham, qui veut absolument lui faire écouter de la musique de son pays en prétendant que c’est du blues. Il s’agit en fait de field hollers, mais Oliver est très impressionné.
Après avoir obtenu son diplôme en 1948, il enseigne les arts, mais il fonde aussi la Harrow Jazz Purist Society et joue de la mandoline au sein des Crawdads, un groupe de skiffle. Ayant parfois un peu de mal à joindre les deux bouts, il commence à écrire des articles sur la musique pour Jazz Journal, dont « Give Me That Old-Time Religion » (1952) sur le gospel aux États-Unis, « It Pays to Advertise » (1952), une étude de la scène jazz en France et « Jazz in Negro Literature » (1953). À partir de 1954, ses écrits cette fois consacrés au blues paraissent dans les colonnes du Music Mirror, en particulier dans la série « Sources of American Folk Song ». Durant la décennie, Oliver signera un grand nombre d’articles sur des thèmes propres au blues (le train, le charançon du coton, les migrations, les textes des blues sur les prisons, les relations homme-femme, les juke joints, les danses, le blues classique…) et sur des artistes comme Sonny Terry, Muddy Waters, les Fisk Jubilee Singers, Brother John Sellers, Barbecue Bob, Ma Rainey, Big Bill Broonzy, Jimmy Rushing, Big Joe Turner, Odetta, Clara Smith…
Les articles de Paul Oliver se distinguent par leur érudition et leur qualité d’écriture, mais ils sont essentiels car il était alors très rare d’écrire régulièrement sur le blues en Europe, ce qui permettait aux lecteurs du Vieux Continent (certes anglophones) d’accéder à ces traditions et cultures. Oliver n’a toutefois pas abandonné les arts et s’adonne à la peinture et à la sculpture, mais il doit se restreindre dans ses activités à cause de son asthme et se dédie plus au dessin. Il est remarqué par le label Decca qui l’engage pour illustrer les pochettes de ses disques. La première est celle de la compilation « Backwoods Blues », qui porte sur des enregistrements de la période 1927-1932, sortie en 1954 chez London avec les artistes Bobby Grant, Buddy Boy Hawkins, King Solomon Hill et Big Bill Johnson (qui n’est autre que Big Bill Broonzy…).
Tout naturellement, Oliver attire aussi l’attention des éditeurs à une époque où la littérature sur le blues, si on excepte quelques biographies, est inexistante. Et justement, il est sollicité par Cassell qui lui propose de réaliser la biographie de Bessie Smith. Ainsi voit le jour son premier livre, simplement intitulé Bessie Smith, en 1959. Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, l’Américain Sam Charters sort la même année The Country Blues (Rinehart), premier livre générique sur le blues. Le parallèle n’est pas innocent car les deux auteurs vont en quelque sorte se « répondre » à distance. En effet, en 1960, Oliver, qui voyage cette année-là au Texas, dans le Mississippi, en Arkansas et en Louisiane, sort à son tour un ouvrage générique sur le sujet, Blues Fell this Morning: The Meaning of the Blues (Cassell). Au début des années 1960, il trouve le temps d’enseigner l’histoire de l’architecture, entreprenant pour cela des voyages en Afrique, qui lui serviront assurément pour ses livres sur les musiques afro-américaines.
Ses livres suivants, évidemment tous remarquables, sont d’ailleurs de véritables études qui s’arrêtent souvent sur le langage du blues et ses origines : Conversation with the Blues (Cassell, 1965), Screening the Blues: Aspects of the Blues Tradition (Cassell, 1968), The Story of the Blues (Barrie & Jenkins, 1969) et Savannah Syncopators: African Retentions in the Blues (Studio Vista, 1970). Après une parenthèse (relative car il est toujours présent dans la presse), il signe cinq nouveaux ouvrages pour compléter une bibliographie parmi les plus riches du genre : Songsters and Saints: Vocal Traditions on Race Records (Cambridge University Press, 1984), Blues Off the Record: Thirty Years of Blues Commentary (Baton Press, 1984), Broadcasting the Blues: Black Blues in the Segregation Era(Routledge, 2006), Barrelhouse Blues: Location Recordings and the Early Traditions of the Blues(Basic Civitas, 2009) et The Blues Come to Texas: Paul Oliver and Mack McCormick’s Unfinished Book (Texas A&M University Press, 2019), ce dernier à titre posthume avec Mack McCormick. Paul Oliver nous a en effet quitté le 15 août 2017 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, deux ans après Sam Charters. La fin d’une époque, celle des deux plus importants pionniers de la littérature sur le blues.
Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir le sujet (le mieux restant quand même de lire ses livres !), voici quelques sources qui m’ont également servi pour la rédaction de cet article.
– « Paul Oliver Interview », Chris Strachwitz, Ann Arbor, 1970.
– « Paul Oliver, World Authority of the Blues », Early Blues, 2009.
– « Paul Oliver : A Selective Discography 1952-2005 », par Rob Ford (Popular Music, 2007).
– Article du Guardian, 2017.
– Article du New York Times, 2017.
– Article du Harrow Times, 2017.
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