© : Marion Ettlinger.

Certes, le rapport entre le blues et Russell Banks tient assurément « à bien peu de choses ». Mais difficile de passer ici sous silence un auteur dont l’œuvre aura marqué la littérature contemporaine durant quasiment cinq décennies. D’autant que l’approche et la plume évocatrice de Banks, quand il s’agit de saisir et de restituer les scènes de la vie quotidienne et l’itinérance (car il fut aussi un grand voyageur), s’inscrivent en adéquation avec les textes de bien des bluesmen. Le blues, c’est la vie, pour reprendre une formule dont j’abuse sans doute un peu. Et Banks écrivait la vie. Je ne me lancerai pas ici dans une étude de son œuvre bibliographique, je ne n’en ai pas la compétence. Mais retracer les grandes lignes de son parcours me semble être simplement « la moindre des choses »…

En 1962 à Boston, Massachusetts, 1962. © : Russell Banks.

Il naît Russell Earl Banks le 28 mars 1940 à Newton, Massachusetts, et grandit dans un milieu modeste, sa mère est en effet femme au foyer et son père plombier. Ce dernier, gros buveur, quitte le domicile familial en 1952, ce qui plonge un peu plus les Banks dans le dénuement. Malgré cela, il devient le premier de sa fratrie à suivre des cours à l’université, qu’il quitte toutefois au bout de six semaines. Il prend alors la route du sud (en stop…) avec la ferme idée de rejoindre les forces armées révolutionnaires de Fidel Castro ! L’aventure, dont Russell dira « Castro n’avait pas besoin d’un type maigrelet qui ne parlait pas anglais » (interview de John Freeman, en partie publiée le 9 mai 2008 dans un article de The Independent, « Russell Banks: Class Warrior in a Club Tie »), s’arrête à Miami, où il prend néanmoins le temps de se marier et d’avoir une fille.

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Bien qu’il ait probablement commencé à écrire à la fin des années 1950, il ne peut en vivre et s’essaie à de petits boulots dans la plomberie, la vente de chaussures et l’aménagement de vitrines… Cette expérience dans le sud des États-Unis le confronte aussi à la ségrégation : « C’était comme se déplacer en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. » (ibid) Il participera d’ailleurs à des marches de protestation en faveur des droits civiques, mais aussi à des manifestations d’étudiants de gauche (Students for a Democratic Society). Cette jeunesse quelque peu agitée, qui nourrira sans doute son anticonformisme, semble pourtant s’interrompre en 1964, quand il reprend ses études, cette fois à la prestigieuse université de Caroline du Nord à Chapel Hill, également siège du Center for the Study of the American South.

Chez lui, État de New-York, juillet 2005. © : Stéphanie Lacombe / Pink / Saif Images.

Une fois de plus, il ne termine pas ses études et voyage, notamment en Jamaïque, où il passera dix-huit mois en 1976-1977, ce qui ne l’empêchera pas d’enseigner la littérature contemporaine à Princeton, New Jersey. Parallèlement, son premier recueil de poésie, Waiting to Freeze (Lillabulero Press, 1969), passe inaperçu, mais le suivant, Snow (Granite Publications, 1974), révèle déjà son talent. Dans son roman inaugural Family Life (Avon, 1975), il se cherche encore. Mais à partir de Hamilton Stark (Actes Sud, 1978), encore marqué par ses origines, il va signer une série impressionnante d’ouvrages qui feront date, et nous citons ici ceux qui ont été traduits en français : Le livre de la Jamaïque (Actes Sud, 1991), La relation de mon emprisonnement (Actes Sud, 1983), Terminus Floride (Acropole, 1987), Affliction(Actes Sud, 1992), De beaux lendemains (Actes Sud, 1993), Sous le règne de Bone (Actes Sud, 1995), Pourfendeur de nuages (Actes Sud, 1998), American Darling (Actes Sud, 2005), La réserve(Actes Sud, 2008), Lointain souvenir de la peau (Actes Sud, 2012) et Oh, Canada (Actes Sud, 2022). Et nous ne pouvons mentionner les nouvelles et autres poésies… À la fin de sa vie, Banks voyagera sur tous les continents et écrira quelques livres sur ses périples qui le menèrent jusqu’en Himalaya !

© : Audible.

Mais Banks s’intéressa donc aussi à la cause des Afro-Américains, des Caribéens et des Africains, ainsi qu’à la musique, en particulier au blues et à Robert Johnson. Dans le numéro d’avril 1991 de The New Republic, il rédigea un article sur le bluesman, « The Devil and Robert Johnson ». Plus près de nous, selon une étude de Karlos K. Hill sur la chanson de Johnson Hellhound on my trail (« The Lynching Blues », publiée le 11 mai 2015 par Study of South), Banks explique que « les textes des chansons de Johnson s’appuient davantage sur des métaphores que sur des expériences réellement vécues ». Même si d’aucuns soutiendront que Hellhound on my trail était certainement autobiographique, ces propos démontrent que Banks a étudié les textes du bluesman. Peu importe et le débat est ouvert, mais Russell Banks aimait assurément le blues. À lire aussi, cette interview menée le 27 mai 2007 par Kathleen Gyssels et Gaëlle Cooreman pour Transatlantica, « Russell Banks goes Creole: A Talk with the Author of The Book of Jamaica and Continental Drift ». Voir enfin le site de l’auteur, avec sa bibliographie complète, ses récompenses, ses fonctions… Et surtout, il nous faudra bien du temps pour prendre la mesure de son legs.

 

Au camp de base de l’Everest, Népal, 2012. © : Russell Banks.