En ce 26 février 2024, en page d’accueil du site de JazzMania, on peut lire la chronique du récent album de Nic Clark, « Everybody’s Buddy » (Little Village), signée Robert Sacré. Une chronique publiée à titre posthume et en fait rédigée deux semaines plus tôt, car le 22 février 2024, Robert a donc quitté ce monde à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Nous savions le Belge toujours actif et son décès brutal est d’autant plus choquant. JazzMania, excellente revue en ligne (pas seulement dédiée au jazz, elle propose des chroniques, des entretiens, des portraits, des annonces et comptes-rendus de concerts, des dossiers, des actualités…), dont il fut un des initiateurs à sa fondation en 2021, restera donc comme le dernier média important auquel Robert aura collaboré. Mais avant cela, il y en eut beaucoup d’autres pour cet acteur et promoteur incontournable des musiques afro-américaines de ces cinquante dernières années.
Robert Sacré naît le 5 août 1940 à Charleroi, une ville de Wallonie au centre-ouest de la Belgique. Dans les années 1960, il vit en Afrique de l’Ouest, où il s’intéresse aux cultures et traditions locales dont évidemment la musique. Il se rend alors compte de l’influence des musiques africaines sur les différents courants afro-américains dont le blues, le gospel et le jazz. À partir du milieu de la décennie suivante, il complète son expertise en effectuant de nombreux séjours aux États-Unis, durant lesquels il assiste à des concerts, mais rencontre aussi les musiciens qu’il interviewe et photographie. Désormais impliqué dans le milieu, il fait venir des artistes et groupes en Europe et publie ses premiers articles dans la presse spécialisée, d’abord dans Jazz Hot puis pour Soul Bag à partir de 1978.
L’année 1983 marque un tournant décisif dans le parcours de Robert Sacré. À l’université de Liège où il enseigne désormais, le département philosophie et lettres lui confie la création d’un cours d’histoire sur le blues et les musiques afro-américaines. À partir de là, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Charlie (1) Patton survenue en 1934, il met sur pied son projet le plus marquant. Il organise d’abord un colloque consacré au célèbre bluesman à Liège, dans le cadre duquel il fait venir les plus éminents spécialistes américains, à savoir David Evans (Université de Memphis), Jim O’Neal (Université du Mississippi), Eileen Southern (Université Harvard), Arnold Shaw (Université du Nevada), Dick Shurman (producteur, auteur, journaliste, historien) et le bluesman Luther Allison, mais aussi John Broven (GB, expert du blues louisianais) Mike Rowe (GB, spécialiste du Chicago Blues) et Cilla Huggins (GB, fondateur de Juke Blues).
Suite à cet événement, en 1987, Robert dirige la publication aux Presses universitaires de Liège du livre Charley Patton – The Voice of the Delta, qui ne fera inexplicablement jamais l’objet d’une édition en français et sera rapidement épuisé. Outre Robert, les auteurs sont les participants au colloque, soit David Evans, Arnold Shaw, Eileen Southern, Jim O’Neal, Dick Shurman, Luther Allison, John Broven, Cilla Huggins et Mike Rowe. Plus de trente ans plus tard, en 2018, Robert parviendra à sortir une nouvelle édition révisée et mise à jour, Charley Patton – Voice of the Mississippi Delta (University Press of Mississippi), avec les mêmes auteurs plus William Ferris (Université de Caroline du Nord, préfacier) et Daniel Droixhe aka Elmore D (philologue et bluesman belge). Le 11 décembre 2018, j’avais consacré une émission sur ma chaîne YouTube et un article sur ce site à cette parution, ce qui m’avait permis d’échanger longuement avec Robert.
Robert n’en restera pas là en termes de publications. En octobre 1991, il est à l’origine d’un nouveau colloque, « Saints and sinners: religion, blues, and (D)evil in African-American music and literature », qui sera publié cinq ans plus tard (toujours en anglais…) sous le même titre par la Société liégeoise de musicologie. Il est également l’auteur de deux ouvrages de la collection « Que Sais-je ? » aux Presses universitaires de France, Les negro spirituals et les gospel songs (1993) et Musiques cajun, créoles et zydeco (1995). Mais l’homme est insatiable. Il écrit des notes discographiques et des dizaines d’articles dans des revues francophones et anglophones (dont Living Blues, Blues & Rhythm, Juke Blues, ABS Magazine…), collabore à des livres importants, anime l’émission de radio Crossroads sur Équinoxe (voir liste plus détaillée dans l’article de Frédéric Adrian publié aujourd’hui sur le site de Soul Bag)… Les écrits de Robert Sacré étaient à l’image de son personnage, documentés, éclairés, passionnés et généreux. Avec l’éloignement, je n’avais pas croisé Robert depuis plusieurs années, mais nous n’avions jamais cessé d’échanger. Comme probablement toutes celles et ceux qui t’ont connu, je ne t’oublierai pas, Robert, et merci pour tout.
Pour conclure cet hommage, comme Robert a eu l’excellente idée d’immortaliser les très nombreux bluesmen (et acteurs du blues) qu’il rencontrait, je vous propose un portfolio. Photos : profil Facebook de Robert Sacré (sauf mention).
(1). Nombre d’auteurs (dont Robert Sacré !) utilisent la graphie Charley pour le prénom de Patton. Mais comme ce dernier écrivait lui-même son prénom Charlie, je préfère cette option.
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