© : Jazz Pictures.

Witherspoon fait partie des blues shouters, ces chanteurs à la voix ultrapuissante qui, à partir des années 1940, d’abord souvent au sein de formations de jazz, jouèrent un rôle essentiel dans l’élaboration du R&B et du Jump Blues. Mais Witherspoon se distingue en étant le chanteur du genre qui le plus enregistré : outre ses singles, on lui prête à partir de 1957 plus de quatre-vingts albums, ce qui le place loin devant Jimmy Rushing et Big Joe Turner par exemple, pourtant eux-mêmes très prolifiques. Il faut dire que Witherspoon pouvait tout chanter, du jazz, du R&B, du gospel, du rock, de la pop, des ballades, des variétés… Mais son œuvre dans le blues est extrêmement consistante.

© : Jan Persson & CDJ / From The Vaults.

Jimmy John « James » Witherspoon naît probablement le 8 août 1920 à Gurdon, une ville du sud de l’Arkansas. Sa date de naissance est incertaine : on parle aussi de 1921, 1922 ou 1923, et certaines sources citent le 18 août. Comme toujours dans un tel cas, je retiens la plus courante et basée sur les éléments les plus à jour. Il grandit dans une famille musicale mais également très religieuse. Sa mère, Eva Witherspoon née Tatum, chante dans la chorale de l’église locale, où son père, agent ferroviaire (garde-frein), joue du piano. Jimmy commence à chanter très tôt à l’église, à seulement cinq ans, et son père décède peu après. Bien que sa mère y soit totalement opposée, il commence à s’intéresser au blues en écoutant la radio ou des disques dans des juke-box.

© : 45worlds.

En 1935, il vit à Los Angeles, où il travaille comme plongeur dans un drugstore. Dès qu’il en a l’occasion, il fréquente les clubs de jazz et de blues dans le quartier de Central Avenue, où il voit les meilleurs artistes de la Côte Ouest, dont Big Joe Turner qui sera sa première grande influence. Bien décidé à faire un jour carrière dans la musique, il se fait progressivement connaître et ses talents vocaux lui valent d’être invité à partager la scène par les groupes locaux. En 1941, en pleine Seconde Guerre mondiale, il est incorporé dans la marine marchande et sert sur des navires qui ravitaillent les forces britanniques en Asie. Il se retrouve ainsi à Calcutta en Inde, où il chante dans le big band du pianiste de jazz Teddy Weatherford, dont les prestations sont diffusées par le U.S. Armed Forces Radio Service.

Au 100 Club, Londres, mars 1984. © : C. Worsdale / JJ Archive / Jazz Journal.

Après son service militaire, Witherspoon est engagé en 1944 par Jay McShann, et côtoie T-Bone Walker et Big Joe Turner. L’année suivante, McShann l’engage comme chanteur en remplacement de Walter Brown et son nom apparaît donc pour la première fois sur disque, avec des morceaux comme Confessing the blues, Hard-working man’s blues et Shipyard woman blues. Et le 28 octobre 1947, il grave cette fois ses premières faces sous son nom chez Supreme, puis d’autres en novembre et décembre de la même année. Parmi cette quinzaine de réalisations, son adaptation en deux parties de Ain’t nobody’s business (avec McShann) lui vaut un énorme succès : en 1949, la chanson se hisse à la première place des charts R&B et reste dans le classement durant trente-quatre semaines !

© : Discogs.

Ces enregistrements relèvent du Jump Blues et d’un R&B très dynamique et plein de swing, mais Witherspoon travaille aussi fréquemment avec des jazzmen. Au milieu des années 1950, sa musique rencontre moins de succès avec l’avènement du rock ‘n’ roll, mais il continue d’enregistrer abondamment, ce qui lui permet de signer chez Atlantic, un des plus importants labels de l’époque : en 1957, il partage avec le tromboniste Wilbur De Paris son premier album, « Wilbur De Paris Plays & Jimmy Witherspoon Sings New Orleans Blues ». Mais il passe chez RCA Victor pour le suivant avec Jay McShann, « Goin’ to Kansas City Blues » (1958). Pas moins de trois albums paraissent en 1959, dont « At the Monterey Jazz Festival », suite à une prestation qui donne un nouvel élan à sa carrière. Un disque remarquable sur lequel il est entouré de somptueux jazzmen dont Woody Herman, Ben Webster et Coleman Hawkins (saxophone), Roy Eldridge (trompette) et Earl Hines (piano).

© : Jazz Pictures.

Il multiplie ensuite les albums (plusieurs par an dans les années 1960), certains avec des jazzmen (Gerry Mulligan, Ben Webster, Buck Clayton, Junior Mance, Panama Francis, Jay McShann, Jack McDuff, Gene Ammons…), d’autres dans des registres plus inattendus dont du gospel et des ballades dans l’esprit de Frank Sinatra. Le chanteur collabore aussi avec des artistes du monde du rock dont Eric Burdon et Robben Ford, qui sort son deuxième album avec lui en 1977. En 1981, Witherspoon est victime d’un cancer de la gorge dont il guérit mais ses cordes vocales sont affectées et sa voix se fait plus rauque. Mais dans une interview accordée en 1987 à Elijah Wald (auteur, journaliste, musicien), il expliquait que la maladie l’avait même rendu plus fort : « Je ne prétends pas mieux chanter, mais je le fais avec plus de feeling que jamais. Un rabbin est venu me voir au Blue Note et m’a demandé comment je faisais avec le public. C’est juste un état d’esprit spirituel. »

Monterey Jazz Festival, 1972. © : Concord Music Group / NPR.

Cela ne l’empêche donc pas de poursuivre ses activités, toujours sur un rythme effréné, que ce soit en termes d’enregistrements comme de tournées. On le voit même dans les films La rage au cœur (1990, avec Dany Glover) et Georgia (1995). Mais son cancer récidive, et le 18 septembre 1997, il s’éteint à Los Angeles à l’âge de soixante-dix-sept ans. La carrière de Jimmy Witherspoon est absolument exemplaire. Face à une discographie aussi variée que fournie, je vous propose une sélection d’albums orientés sur le blues, dont six en écoute dans leur intégralité.

Chicago Blues Festival, 15 juin 1991. © : Jack Vartoogian / Getty Images.

– « The Chronological Jimmy Witherspoon, 1947-1948, 1948-1949 et 1950-1951 » (Classics).
– « Singin’ the Blues » (1958, World Pacific).
« Sings the Blues » (1960, Crown).
– « Evenin’ Blues » (1963, Prestige). Avec T-Bone Walker.
– « Blues Around the Clock » (1963, Prestige).
« The Blues Singer » (1969, BluesWay). Avec Charlie Musselwhite.
– « Hunh! » (1970, BluesWay). Avec Charles Brown, Mel Brown et Earl Hooker.
– « Live Jimmy Witherspoon & Robben Ford » (1977, LAX).
« Spoon’s Life » (1981, Isabel). Avec Sammy Lawhorn, Johnny Dollar, George « Harmonica » Smith…
– « Joe Turner Meets Jimmy Witherspoon – Patcha, Patcha, All Night Long » (1985, Pablo). Le dernier album de Big Joe…
« Midnight Lady Called the Blues » (1986, Muse). Avec Dr. John, Hank Crawford, David « Fathead » Newman », Calvin Newborn, Bernard Purdie…
« Spoon’s Blues » (1995, Stony Plain). Avec Duke Robillard.

© : Stony Plain Records.