© : Stefan Wirz.

Le 5 décembre 1928, soit pratiquement un an jour pour jour après sa première session (le 3 décembre 1927), Blind Willie Johnson revient en studio pour Columbia et grave quatre faces : Jesus is coming soon, (I’m gonna run to) The city of refuge, Lord I just can’t keep from crying et Keep your lamp trimmed and burning. Cette dernière chanson est bien sûr la plus connue et fera l’objet de multiples reprises, surtout à partir du Blues Revival dès la fin des années 1950. Si Blind Willie Johnson nous laisse la première interprétation connue en 1928, à l’instar de bien des gospel blues (ou sacred blues) de l’époque, elle s’inspire d’un épisode biblique, en l’occurrence la Parabole des Vierges sages (ou des Dix Vierges) de l’Évangile selon Matthieu.

La Parabole des Vierges sages. © Gospelimages.

D’après cet Évangile, le royaume des cieux est comparable à dix vierges qui partent à la rencontre de l’époux munies de lampes à huile. Cinq d’entre elles sont prévoyantes (les Vierges sages) et pensent à emporter une réserve à l’huile, pendant que les cinq autres, insouciantes (les Vierges folles), n’en prennent pas. Bien entendu, ces dernières, quand l’époux arrive, ne peuvent garder leurs lampes allumées. Les Vierges sages refusent de leur donner de l’huile, elles doivent donc aller en acheter chez un marchand. Mais quand elles reviennent, elles trouvent portes closes et ne peuvent prendre part à la noce, c’est la punition pour leur imprévoyance. Morale de l’histoire : soignez toujours votre lampe pour qu’elle reste allumée (keep your lamp trimmed and burning). Les origines de la chanson sont donc en fait très anciennes et elle figura sans doute aussi au répertoire des interprètes de work songs avant l’abolition de l’esclavage.

La seule photo connue de Blind Willie Johnson. © : The Document Records Store.

Pour illustrer mon propos, je vous propose une sélection de dix versions de cette chanson, dont quelques-unes très récentes qui démontrent sa popularité près d’un siècle après son enregistrement initial.
Blind Willie Johnson le 5 décembre 1928. La version originale bien sûr, à jamais inégalable avec la voix rauque si personnelle de Johnson (ici avec sa femme Willie B. Harris) et son jeu de guitare slide avant-gardiste qui continue de faire école…
Rev. Gary Davis le 20 janvier 1956. Vingt-sept ans après l’originale, Davis délivre une lecture émouvante comme lui seul en était capable.
Mississippi Fred McDowell le 21 septembre 1959. Sans doute la version la plus célèbre par ce bluesman lors de sa première session d’enregistrement, réalisée par Alan Lomax avec Shirley Collins.
Skip James en 1967. Tirée d’une session du bluesman de Bentonia restée inédite jusqu’en 2003.
Hot Tuna en avril 1971. Le chanteur-guitariste Jorma Kaukonen n’a jamais caché son affection pour le blues des pionniers (mais version live et électrique ici), même si on peut regretter que la chanson soit créditée à Gary Davis…
Blind Pearly Brown en 1974. Brown avait enregistré la chanson dès 1961, mais il s’agit là d’une version plus rare immortalisée par Chris Strachwitz du label Arhoolie.
Corey Harris le 2 septembre 1994. Issue du premier album de Harris, dans une veine très traditionnelle et composé de douze reprises sur quinze.
Catfish Keith en 2009.
Derek Trucks & Susan Tedeschi en 2016.
Nefesh Mountain en 2023.

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