Ce chanteur-guitariste de blues rural, bien oublié de nos jours et dont il n’existe pas de photo connue, enregistra pourtant dans les années 1930 avec Sleepy John Estes et Hammie Nixon (qui inaugura sa discographie en accompagnant Bonds, mon article du 23 janvier 2023), mais sa mort prématurée l’empêcha de mener une carrière plus significative. Il naît Abraham John Bond Jr. le 16 mars 1909 près de Brownsville, Tennessee, une ville moyenne au nord-est de Memphis, mais on ne sait rien de ses premières années. J’en viens donc directement à sa discographie. Le 6 septembre 1934, sous le nom de « Brownsville » Son Bonds, il enregistre pour Decca un single (All night long / She walks like my woman), puis un autre (Weary worried blues / Back and side blues) pour Champion, marque rachetée la même année par Decca, qui se débrouille pour bafouiller son nom (« Brownsvivlle » Son Bonds)…
Mais l’essentiel réside ailleurs. Sur ces quatre chansons, Bonds est accompagné par Hammie Nixon à l’harmonica, et les deux hommes signent donc en même temps leurs premières faces. En outre, la mélodie de Back and side blues, une composition de Bonds, servira de base à Sonny Boy Williamson I pour créer en 1937 un des plus grands standards du blues, le très fameux Good morning, little school girl ! Deux jours plus tard, le 8 septembre 1934, sur des disques cette fois crédités à Brother Son Bonds (dans une veine churchy), les mêmes bluesmen se retrouvent sur quatre nouvelles faces, avec comme seules différences Nixon qui joue du jug en plus de l’harmonica et qui chante sur un titre. Le 11 septembre, ils gravent un autre single ensemble, cette fois « collectif » car sous le nom de Hammie and Son.
Il faut ensuite attendre près de quatre ans, le 22 avril 1938, pour voir le nom de Son Bonds réapparaître sur disque, cette fois accompagné de Sleepy John Estes à la seconde guitare sur le single I’ll work up to you someday / Old bachelor blues. Lors de la même session, Bonds accompagnerait également Estes sur huit autres chansons, mais les spécialistes sont divisés et certains estiment qu’il s’agit de Charlie Pickett, et franchement, même après écoute attentive, c’est difficile à établir formellement… Trois nouvelles années passent et Son Bonds revient en studio le 24 septembre 1941, pour deux morceaux comme leader des Delta Boys (sur lesquels il joue aussi du kazoo) puis trois autres sous son nom, à chaque fois accompagné d’Estes à la guitare mais aussi de Raymond Thomas à la tub bass.
Parmi ceux-ci, A hard pill to swallow sera repris par de nombreux artistes, dont le bluesman d’Indianapolis Shirley Griffith. Koko Taylor chantera aussi un morceau portant ce titre, mais avec des paroles totalement différentes. Cette séance de 1941 sera sa dernière et on ignore la suite du parcours de Bonds. On ne peut dès lors guère que spéculer et imaginer qu’avec son Country Blues très racinien alors un peu archaïque (mais très évocateur), il ait « manqué » le train du blues moderne électrique apparu dans les années 1940. Et il n’aura pas l’occasion de relancer sa carrière, car d’après le témoignage d’Hammie Nixon, sa mort relève d’un incroyable et tragique coup du sort. Le soir du 31 août 1947, alors qu’il se détendait sous le porche de sa maison à Dyersburg, Tennessee, il est abattu par un voisin qui l’avait confondu avec un autre envers lequel il nourrissait un contentieux de longue date… Son Bonds avait trente-huit ans.
Voici maintenant ma sélection de chansons en écoute, qui démontre combien Bonds, avec sa voix traînante aux élans parfois haut perchés et son phrasé heurté à la guitare, incarnait « l’école » du blues rural de Brownsville, dont il fut bien un des acteurs notables avec Hammie Nixon, Sleepy John Estes, Yank Rachell, Charlie Pickett… D’un point de vue artistique, malgré la brièveté de sa carrière, l’œuvre de Son Bonds est remarquable.
– All night long en 1934 par « Brownsville » Son Bonds. Son premier titre, avec Hammie Nixon.
– Back and side blues en 1934 par « Brownsville » Son Bonds. Inspiration de Sonny Boy Williamson I pour Good morning, little school girl.
– Give me that old time religion en 1934 par Brother Son Bonds. Avec Hammie Nixon au jug !
– Trouble trouble blues en 1934 par Hammie and Son.
– I’ll work up to you someday en 1938 par Son Bonds. Avec Sleepy John Estes.
– Black gal swing en 1941 par The Delta Boys.
– A hard pill to swallow en 1941par Son Bonds.
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