Aujourd’hui, Delmark, fondé en 1953 (d’abord sous le nom de Delmar), est le plus ancien label discographique de blues toujours en activité. Ceci dit, la même année vit la fondation de Vee-Jay, qui est également encore actif. Mais si Delmark continue de sortir des disques de blues, ce n’est plus le cas de Vee-Jay depuis les années 1960. Mais durant cette décennie et la précédente, la marque fut une des plus importantes de l’époque, et la première de cette stature entièrement gérée par des Afro-Américains, dans les domaines du blues et du R&B, mais aussi du gospel et du jazz. En nous contentant d’évoquer cette période, nous avons largement de quoi faire un article !
En 1953, l’animatrice radio Vivian Carter et James C. « Jimmy » Bracken, qui se fréquentent depuis 1944 et se marieront cette même année le 16 décembre, possèdent un magasin de disques à Gary, Indiana, où ils décident de fonder Vee-Jay. Le nom du label associe simplement les initiales de leurs deux prénoms, Vivian et James : en anglais, VJ se prononce en effet vee jay… Dès le début, ils travaillent avec Calvin Carter, le frère de Vivian, qui lui-même officie pour le label Chance à Chicago. Bien que située dans l’Indiana, Gary est très proche de Chicago, dont elle est quasiment une banlieue sud-ouest (ville satellite). D’ailleurs, les premiers singles du couple, qui a investi 500 dollars, sont enregistrés à Chicago avec la supervision de Calvin Carter, et sortent à la fois chez Vee-Jay et chez Chance.
Tout démarre le 5 mai 1953 avec un groupe de très jeunes artistes (entre seize et dix-neuf ans), les Spaniels, dont la chanson Baby it’s you atteint la dixième charts des charts R&B le 5 septembre ! Jusqu’à la faillite du label en 1966, les Spaniels resteront en tête des meilleures ventes de Vee-Jay pour ce qui est des groupes vocaux (R&B et doo-wop). Entre-temps, le 6 juin 1953, c’est au tour de Jimmy Reed d’inaugurer sa discographie chez Vee-Jay, avec quatre chansons dont High and lonesome (co-écrite avec Jimmy Bracken) qui devient un énorme hit. Reed, plus gros vendeur de disques de blues de son temps (devant Muddy Waters et consorts en plein âge d’or du blues moderne !) reste chez Vee-Jay jusqu’en 1965, signant des dizaines de faces dont bon nombre de classiques de cette musique. Parmi ses accompagnateurs, surtout en début de période, figurent d’autres bluesmen de renom dont Eddie Taylor, John Brim et sa femme Grace qui en profitent aussi pour enregistrer sous leur nom.
En 1955, le label a déménagé et son siège se trouve désormais à Chicago, au numéro 2129 de South Michigan Avenue (il sera déplacé au 1449 en 1960). L’année suivante, Chess Records s’installera quasiment en face, au 2120 South Michigan Avenue. Dans le même temps, John Lee Hooker apparaît le 19 octobre 1955 (avec Jimmy Reed à l’harmonica), et jusqu’en 1964, il enregistre une centaine de chansons pour Vee-Jay. Les versions originales de Dimples (1956, encore co-écrite avec Bracken) et de Boom boom (1961) datent de cette période. Certaines d’entre elles sortent aussi sur des albums car le label a lancé des séries à partir de 1957, pour des bluesmen mais aussi des groupes de doo-wop et de R&B (The El Dorados, Gene Allison, The Dells…), de jazz (Richard Otto, Walter Perkins, Paul Chambers…), de soul (Jerry Butler, Gene Chandler, Betty Everett…), de gospel (Staple Singers, Swan Silverstones, Caravans…), voire de rock ‘n’ roll avec Little Richard, la liste est longue. En 1956, Big Joe Williams (quatre faces sous le nom de Po Jo Williams), puis Memphis Slim juste avant de se fixer en France, seront également au catalogue Vee-Jay.
Même si cela sort un peu de notre cadre, impossible de passer sous silence un événement survenu en 1964, quand Vee-Jay acquiert les droits d’une partie d catalogue d’EMI. Suite à cela, le 10 janvier 1964, la marque devient la première à sortir aux États-Unis un album d’un groupe aujourd’hui assez connu et qui commençait à beaucoup faire parler de lui à l’époque, les Beatles : il s’agit de leur premier disque réalisé l’année précédente, « Please please me », réintitulé aux States « Introducing… The Beatles ». Les ventes sont considérables, mais Vee-Jay, qui a du mal à trouver de nouveaux artistes et se contente de plus en plus de rééditions, connaît des difficultés financières, les dettes s’accumulent et la faillite survient en 1966. Les Bracken sont ruinés et Vivian doit même reprendre son activité d’animatrice radio à Gary. La marque est relancée l’année suivante par de nouveaux propriétaires sous le nom de Vee-Jay International, change encore de mains en 1982, avant d’être finalement acquise en 2014 par le groupe Concord. Après 1966, sa production n’a plus de rapport avec l’objet de ce site, mais Vee-Jay demeurera pour toujours un label historique du blues, comme en témoigne ce documentaire dans la série « Celebrity Underrated », The Vee-Jay Records Story.
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