L’année 2004 fut vraiment particulière pour Mavis Staples. Cela faisait quatre ans que son père, Roebuck « Pops » Staples, fondateur des Staple Singers, avait quitté ce monde, huit ans qu’elle n’avait pas sorti d’album solo, et on venait de diagnostiquer la maladie d’Alzheimer à sa sœur aînée Cleotha. On savait alors que les Staple Singers, qui ne se produisaient plus que ponctuellement depuis le milieu des années 1980, ne se reformeraient jamais, et les compagnies discographiques tournaient le dos à Mavis Staples. Il y avait donc de quoi s’inquiéter au sujet de la suite de sa carrière. Mais la chanteuse ne baisse pas les bras et décide de faire son disque coûte que coûte, comme elle le dira dans un article du Herald-Times daté du 29 octobre 2004 : « Je n’ai pas attendu qu’une compagnie m’engage. Je me suis lancée et j’ai fait mon disque. J’ai mis un peu d’argent là-dedans, j’ai payé pour le studio et les musiciens. Et je me disais : « Quand l’album sera fini, j’irai le vendre. » »
Ce ne sera pas nécessaire car Bruce Iglauer du label Alligator se présente et prend le relais. Il avouera pourtant qu’il s’agissait d’un défi car Mavis Staples était une artiste assez inclassable, difficile à mettre dans une de ces catégories dont les promoteurs sont friands. Mais les risques pris sont vite oubliés. À sa sortie, « Have A Little Faith » fait un carton et rafle quatre W.C. Handy Blues Awards dont ceux très convoités du meilleur album et de la meilleure chanson de l’année ! Dans une interview publiée le 30 octobre 2004 par le Washington Post, le propos de Mavis trouverait toute sa place aujourd’hui : « Sur ce CD, je ne fais rien d’autre que ce que nous avons toujours fait avec les Staple Singers. Je ne pouvais m’en éloigner, c’est ce que je chante, comme nous l’avons fait durant toutes ces années (…). Nous chantons au sujet de ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui et si quelque chose ne va pas nous essayons de régler le problème avec une chanson. Nous vivons une époque sombre, troublée, nous essayons d’envoyer un rayon de lumière sur le monde. »
Vingt ans après la sortie de ce formidable album, Alligator le sortira le 20 avril 2024 (à l’occasion du Record Store Day) dans une version vinyle remastérisée dite « deluxe », assortie d’un témoignage dans lequel la chanteuse revient sur la genèse d’un disque dont elle aime dire qu’il est le véritable point de départ de sa carrière solo. Pour mémoire, on rappellera qu’il compte douze chansons, et que sur deux d’entre elles (I wanna thank you et There’s a devil on the loose) on entend la guitare caractéristique de Pops Staples, enregistré trois ans avant sa mort. Mais comme je l’écris en préambule, il s’agit bien d’un double anniversaire en cette année 2024 pour Mavis Staples, qui fêtera ses quatre-vingt-cinq ans le 10 juillet prochain. Et si vous passez par Los Angeles le 18 avril 2024 (soit deux jours avant la sortie officielle de la réédition), sachez qu’elle donnera un concert-anniversaire exceptionnel (All Star Birthday Concert) au YouTube Theatre d’Inglewood, avec des invités dont Chris Stapleton, Jackson Browne, Norah Jones, les Black Pumas, Grace Potter, Michael McDonald, Keb’ Mo’, Robert Randolph, Taj Mahal… Infatigable Mavis !
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