Au programme de mon émission sur YouTube, Eric Bibb (rubrique « Un blues, un jour »), et Willie Farmer (rubrique « Nouveauté de la semaine »).
Je m’arrête aujourd’hui sur un événement qui s’est produit il y a tout juste 110 ans, le 12 février 1909, il s’agit de la fondation de la NAACP, la National Association for the Advancement of Colored People. Il n’existe pas de traduction satisfaisante en français, le terme anglais advancementdésignant l’avancement, la promotion, ce n’est donc pas complètement cela… Pour faire simple, on dira que cette association a pour vocation première la défense des droits civiques. On doit son lancement à trente-deux éminentes personnalités qui se rencontrèrent en 1905 dans un hôtel canadien (la ségrégation les empêcha de se réunir aux États-Unis) près de la rivière Niagara. Cela valut aux membres du groupe d’être désignés comme appartenant au Niagara Movement. Il comprenait des Afro-Américains comme W.E.B. Du Bois, Ida B. Wells et Mary Church Terrell, mais aussi des Blancs activistes et défenseurs des droits civiques comme Henry Moskowitz, William English Walling, Oswald Garrison Villard et Charles Edward Russell.
D’abord basée à New York, la NAACP lutta dans ses premières années contre les lois Jim Crow qui favorisaient la ségrégation, contre les lynchages qui étaient alors en très forte augmentation, mais également en faveur du droit de vote pour les Noirs. Ses responsables œuvraient en se déplaçant dans les États du Sud, les plus affectés, en s’efforçant de faire évoluer la législation et en jouant un rôle pédagogique. Ils s’opposèrent souvent à l’intransigeance des autorités en place, mais peu à peu, ils obtinrent des succès en empêchant par exemple l’élection de suprémacistes à des postes clés. L’influence de l’association s’étendra ensuite à la politique, à l’éducation, à l’économie, en fait à tous les secteurs et à tous les niveaux de la société américaine. Bien entendu, après la Seconde Guerre mondiale, la NAACP fut de toutes les luttes pour les droits civiques, notamment dans les années 1950 et 1960. Elle a également sa revue officielle, The Crisis, fondée dès 1910 par Du Bois, et ses Awards annuels dans les domaines des arts et des loisirs. Leader aux États-Unis avec aujourd’hui environ 500 000 membres, elle reste très influente.
Pour illustrer cela en musique, je n’ai pas eu besoin de remonter très loin en arrière, d’autant que les bluesmen ont longtemps hésité à évoquer de tels thèmes dans leurs chansons, ce qui les aurait de toute façon exposés à la censure. Je me suis donc contenté d’une chanson de 2017, avec un artiste habitué des textes engagés, Eric Bibb. J’ai pris pour mon émission un extrait de son album « Migration Blues » paru chez Dixiefrog. Bibb a écrit un morceau intitulé With a Dolla’ in My Pocket, qui raconte en gros l’histoire d’un Noir du Sud qui préfère prendre la route du Nord, la Highway 61, avec seulement un dollar en poche et sans savoir où loger, vers le vent froid de Chicago plutôt que de subir la ségrégation et les lynchages dans la chaleur du Mississippi… Pour cet extrait enregistré en 2017 au festival de Cheltenham, il s’accompagne en outre de l’excellent Michael Jerome Browne à la guitare slide.
En deuxième partie d’émission, pour la nouveauté de la semaine, je m’arrête sur le dernier album de Willie Farmer, « The Man From the Hill », sorti chez Big Legal Mess. En 2017, dans le numéro 228 de Soul Bag, j’avais chroniqué son précédent opus, « I’m Coming Back Home », sorti chez Wolf. J’avais été moyennement séduit par son disque de blues acoustique contenant beaucoup de reprises et mal présenté par le label autrichien. Pour mieux connaître Farmer, on précisera qu’il a 62 ans et qu’il est né en 1956 à Duck Hill, à l’extrême est du Delta. Il a grandi dans une ferme où ses parents élevaient des vaches et des poules, et cultivaient le maïs et le coton. Pour échapper à la cueillette du coton, il a commencé à chanter du gospel à l’église, mais d’autres membres de sa famille impliqués dans la musique lui ont également donné le goût du blues. Il semble d’ailleurs avoir appris la guitare très jeune. Mais, tout en jouant régulièrement localement dans des groupes de gospel, il s’est surtout consacré à son travail de mécanicien auto, jusqu’à ouvrir son propre garage, sans rien enregistrer dans le domaine du blues avant ce premier album pour Wolf cité plus haut.
Mais pour revenir à ce nouveau CD pour Big Legal Mess, tout change au point de laisser croire qu’il s’agit d’un autre artiste ! Farmer propose cette fois un album bien plus intéressant, à la fois déjanté et hypnotique, avec un son moderne et distordu. Ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler le Hill Country Blues, et certains titres rappellent ainsi Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough et T-Model Ford. On y décèle aussi l’influence de Lightnin’ Hopkins qui fut le premier mentor de Willie Farmer. Mais tout s’explique quand on lit les notes. On apprend ainsi que le guitariste et chanteur Jimbo Mathus et le batteur George Sluppick, qui n’en sont pas à leur coup d’essai dans le Hill Country Blues, ont collaboré à la réalisation du disque, et qu’il a été réalisé au Delta Sonic Sound Studio de Bruce Watson, autre spécialiste du genre… Je ne m’étends pas davantage ici car vous pourrez lire ma chronique détaillée dans le prochain numéro de Soul Bag, à paraître le 15 mars 2019. Je précise également que cet album ne sortira que le 1ermars prochain mais il est déjà possible de le précommander. Pour vous mettre l’eau à la bouche, j’ai pris pour mon émission un extrait que n’aurait donc pas renié T-Model Ford, I Am the Lightning.
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