© : Sandra Hughes / The Historical Marker Database.

Cette ville moyenne (environ 40 000 habitants) nommée en référence à la célèbre cité italienne, a vu naître W.C. Handy, le « Father of the Blues », et Sam Phillips, le fondateur du label Sun à Memphis. Entre autres, car malgré sa taille relativement modeste, elle se trouve au cœur d’une région historique dans le domaine de la musique populaire aux États-Unis, à deux pas d’une autre localité notable qui vous dira sans doute quelque chose, Muscle Shoals et ses fameux studios… Florence est d’ailleurs la plus grande de ce que l’on appelle les Quad Cities ou « Shoals », avec Sheffield, Tuscumbia et donc Muscle Shoals, dans une aire urbaine de quelque 150 000 habitants. À l’extrême nord-ouest de l’Alabama, proche de la région du Hill Country Blues (Mississippi), à 250 km à l’est de Memphis (Tennessee), à 200 km au sud de Nashville (Tennessee) et à 200 km au nord de Birmingham (Alabama), Florence bénéficie ainsi d’une position centrale et préférentielle.

Le Florence Indian Mound. © : Alabama Indigenous Mound Trail.

La première occupation du site est attestée par un tumulus indien (indian mound) en terre construit entre le Ier et le Ve siècle de notre ère durant la période sylvicole ou Woodland Stage, suffisamment important (le plus grand du genre dans la vallée de la Tennessee River, haut de 13 mètres) pour accueillir aujourd’hui un musée, le Florence Indian Mound and Museum. Cette présence précoce s’explique sans doute par la présence de la rivière qui favorisait l’installation d’îlots de population. Pendant la période mississippienne, entre 1250 et 1400 selon le site du musée, le Florence Indian Mound a même été réutilisé et réhaussé, car « le tumulus et la digue qui le ceinturait étaient des éléments marquants dans la plaine inondable, et un point de repère bien connu des Mississippiens qui se servaient du tertre pour leurs propres cérémonies et activités ».

Court Street, Florence, Alabama, années 1880. © : Historic Downtown Florence.

En outre, cette partie de la vallée de la Tennessee River est légèrement surélevée et dès lors épargnée par les inondations et les maladies si on vit trop près des berges. Elle fait ainsi partie des premières terres de la région investies par les colons européens à la fin du XVIIIe siècle, probablement dès 1779. Comme d’autres, elle est ensuite cédée par les Indiens Chickasaw et achetée par une compagnie foncière, la Cypress Land Company, qui compte parmi ses actionnaires James Madison et Andrew Jackson (source : Britannica), futurs quatrième (1809-1817) et septième (1829-1837) présidents des États-Unis. Le 6 février 1818, le comté de Lauderdale est fondé sur place. Le général John Coffee, un autre actionnaire, charge un géomètre italien, Ferdinand Sannoner (1) d’expertiser les lieux afin d’y créer une ville. Les travaux de Sannoner sont convaincants et Coffee l’invite à choisir lui-même le nom. L’Italien natif de Toscane n’hésite pas et choisit Florence pour la localité qui « naît » le 12 mars 1818. Elle sera finalement incorporée le 7 janvier 1826 à l’État de l’Alabama, qui avait adhéré à l’Union en 1819.

Petite annonce parue mercredi 21 décembre 1859 dans la Florence Gazette. Parmi les esclaves noirs à « louer » suite au décès de leur propriétaire, le nom du révérend Lightfoot apparaît en ces termes : « Robert Lightfoot, 68 ans, bon cordonnier. » © : Florence-Lauderdale Public Library Digital Archive.

Le commerce fluvial débute lentement, puis le développement de la ville s’accélère avec la culture du coton au début des années 1830. Des chantiers voient le jour (canaux, ponts, chemin de fer) durant les deux décennies suivantes, mais Florence ne compte que 1 400 habitants à la veille de la guerre de Sécession. Évidemment, de nombreux esclaves sont présents, en particulier sur les inévitables plantations. Entre 1837 et 1840, quatorze Afro-Américains forment une première congrégation, « Church Spring(s) », dans une ancienne étable en brique, dirigée par le révérend Robin Lightfoot. Ce dernier, cordonnier de métier, prêche en faveur de l’émancipation de son peuple et de la liberté due à l’esclave. Mais le contenu de ses sermons parvient aux oreilles des bushwhackers, qui composent durant la guerre de Sécession une milice à la solde des confédérés (sudistes) aux méthodes de répression féroces. Le 7 mai 1864 (certaines sources citent aussi 1862), ils enlèvent Lightfoot, pourtant âgé de soixante-huit ans, puis, selon les archives de la bibliothèque publique de Florence-Lauderdale : « Robert ou Robin Lightfoot, pasteur de l’église Church Springs, [est] pendu le 8 mai 1864 par les hommes du 4e régiment de cavalerie de l’Alabama commandé par le colonel William A. Johnson, apparemment pour troubles à l’égard des Blancs. »

Le musée-bibliothèque de W.C. Handy, Florence, Alabama. © : W C Handy Museum and Library.

Neuf ans plus tard, le 16 novembre 1873, William Christopher « W.C. » Handy voit le jour à Florence. En 1879, l’église où prêchait le révérend Lightfoot prend le nom de Saint Paul African Methodist Episcopal Church. Charles Bernard Handy, le père de W.C. Handy, et William Wise Handy, son grand-père, y officient. Le futur musicien, compositeur et chef d’orchestre grandit d’ailleurs dans une cabane bâtie par son grand-père, aujourd’hui rénovée et transformée en musée-bibliothèque. Handy passera pratiquement ses vingt premières années à Florence. Il apprend d’abord la guitare au désespoir de ses père et grand-père (l’instrument du diable et des pécheurs !) qui le persuadent de jouer de l’orgue à l’église. Le cornet et la trompette viennent peu après, pendant qu’il s’initie aussi à la cordonnerie, la menuiserie, la plâtrerie… Et il écoute tout ce qui l’entoure, les chants d’oiseaux, les cris d’animaux, les bruits de la nature et sans doute aussi des work songs, des field hollers et des spirituals, ce qui sera à l’origine de sa prolifique carrière. Handy quitte Florence en 1892 et commence à se produire dans des spectacles itinérants. S’il n’était pas un bluesman, il fut le premier à décrire cette musique (1903), et également le premier auteur de compositions dans le genre, dont les célèbres The Memphis blues (1912) et The Saint Louis Blues (1914). Mais j’aurai d’autres occasions de revenir dans le détail sur le parcours de W.C. Handy.

Construction du barrage Wilson, Tennessee River, 3 mai 1924. © : U.S. Army Corps of Engineers.

Grâce à Handy, nous disposons d’éléments sur quelques musiciens actifs à la fin du XIXe siècle dans cette région, ce qui est très rare pour l’époque. C’est le cas du violoniste Jim Turner, originaire de Memphis mais qui vient à Florence dans la deuxième moitié des années 1880 afin de former un groupe dans lequel Handy aurait même brièvement joué. De même, il a sans doute côtoyé un autre violoniste, Uncle « Whit » Walker, (que certaines sources citent comme étant un de ses oncles), musicien de minstrel show qui anime des soirées quand sa troupe fait étape. Ces artistes jouent des airs folkloriques et populaires, dont on retrouvera plus tard des éléments dans d’autres courants de la musique afro-américaine dont le blues, mais aussi dans la country.

© : Sandra Hughes / The Historical Marker Database.

En 1920, on dénombre 10 000 habitants à Florence, une taille désormais respectable pour la ville qui attire de plus en plus de commerçants, d’entrepreneurs et d’investisseurs, mais aussi des musiciens, d’autant que d’importants travaux sont entrepris sur la Tennessee River. En 1924, un premier barrage est inauguré et donne naissance au lac Wilson, suivi de deux ouvrages similaires, Wheeler en 1936 et Pickwick en 1938. Outre l’optimisation de la navigabilité de la rivière, les trois plans d’eau, tous à proximité de Florence, sont également des bases de loisirs très prisées. Entre-temps, le 5 janvier 1923, Sam Phillips avait poussé son premier cri dans une ferme louée par ses parents près de la ville. Il participe donc très jeune aux travaux agricoles et cueille du coton avec des employés noirs, et, un peu à l’instar de W.C. Handy, les chants de ces travailleurs l’auraient inspiré. Même si, bien entendu, contrairement à Handy, Phillips était blanc. Après avoir œuvré comme animateur radio dans deux autres Quad Cities, Sheffield et Muscle Shoals, il s’installe en 1945 à Memphis où il va écrire une autre belle histoire (création du studio et du label Sun, lancement des carrières de grand bluesmen dont B.B. King et Howlin’ Wolf, découverte d’Elvis Presley…), que là encore je vous conterai par ailleurs.

© : Discogs.

Handy et Phillips sont deux acteurs centraux de la musique populaire américaine du vingtième siècle, mais d’autres personnages de la région de Florence en lien avec ce site méritent d’être évoqués.
– Sterling Bose (1906-1958), trompettiste de jazz né à Florence qui travailla avec Tommy Dorsey, Benny Goodman, Glenn Miller, Jack Teagarden, Bud Freeman…
– The Butler Twins, frères jumeaux nés le 21 janvier 1942 à Killen, petite localité qui jouxte Florence à l’est. À sept ans, les frères Clarence et Curtis Butler ont gagné un concours de talents à la W.C. Handy Elementary School et joué dans la maison natale de Handy. À partir de 1960, fixés à Détroit, ils contribuèrent à la scène blues locale, mais ils enregistrèrent bien plus tard (trois albums en 1988, 1995 et 1996).
– Frank Lee « Frank-O » Johnson, né le 28 janvier 1950 à Florence, ville qu’il a quittée à dix-neuf ans. Ce chanteur s’est surtout fait connaître comme parolier chez Motown puis Malaco. On lui prête plus de 3 000 chansons, dont certaines interprétées par Aretha Franklin, Z.Z. Hill, Thelma Houston, The Temptations, The Supremes, Johnnie Taylor, Denise LaSalle, Latimore, Little Milton, Bobby « Blue » Bland, Bobby Womack et Ray Charles !

(1) Né à Livourne en Toscane, Ferdinand Sannoner (1793-1859) est en fait diplômé de l’École Polytechnique en France, où il a brièvement travaillé pour Napoléon Bonaparte avant de s’installer aux États-Unis en 1816.

Frank Lee « Frank-O » Johnson. © : Soul Express.