
Strachwitz à l’entrée de l’immeuble au 10341 San Pablo Avenue à El Cerrito. © : Arhoolie Foundation.
Fondateur d’Arhoolie Records en 1960, Chris Strachwitz nous a quittés le 5 mai 2023 à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Nous savons tous qu’Arhoolie est un des labels les plus importants de l’histoire du blues mais aussi des différentes formes de musiques traditionnelles. Son catalogue s’étend en effet au gospel et aux spirituals, au zydeco et aux musiques cadiennes et créoles, à la country et au bluegrass, au folk et l’old-time music, à des genres originaires du sud du Texas et du nord du Mexique (conjunto, corrido…) ou encore de la Caraïbe, la liste est longue ! En 1995, Strachwitz a fondé la Arhoolie Foundation afin d’assurer la préservation de ses collections qui sont évidemment considérables. Aujourd’hui, la fondation cherche à racheter l’immeuble historique du 10341 San Pablo Avenue à El Cerrito, Californie, son siège après avoir été celui d’Arhoolie, mais aussi celui du Down Home Music Store et de la société Les Blank Films. Elle a lancé une campagne de financement participatif et touche au but car elle a réuni 90 % du budget nécessaire. Si vous souhaitez participer à cette opération, vous avez jusqu’au 15 avril 2025 pour faire un don à cette adresse.

La façade de l’immeuble à El Cerrito. © : Arhoolie Foundation.
Je vous propose maintenant d’évoquer les collections essentielles de la fondation. À partir du milieu des années 1950 et durant plus de soixante ans, Strachwitz a rassemblé dans ce qui constitue la Chris Strachwitz Collection plus de 40 000 documents dont 25 000 photographies, des centaines d’heures d’enregistrements audio qui serviront à l’édition des disques du label (mais aussi des interviews, des films et des vidéos), des correspondances avec des artistes, des auteurs, des universitaires, des historiens, des promoteurs, des producteurs, sans oublier ses écrits dont des notes de pochettes et de livrets, des articles dans la presse, enfin un livre fondamental à la fin de sa vie (lire plus loin). La fondation a également acquis d’autres collections : The Ann Savoy (1) Collection (plus de 200 interviews de musiciens louisianais), The Robert Stone Sacred Steel Archive (plus de 150 photos et 6 500 photos sur la tradition du Sacred Steel Gospel), The Strachwitz Frontera Collection of Mexican American and Mexican Recordings (170 000 enregistrements de 1905 aux années 1990 !) et The Harry Oster (2) Collection (enregistrements de terrain sur tous les aspects des musiques et traditions cadiennes).

Ann Savoy and Her Sleepless Knights, Liberty Theater, Eunice, Louisiane, 17 novembre 2012. © : Lewis David Simpson.
Cet ensemble de collections est le plus important du monde dans notre domaine, et il importe dès lors de tout faire pour sa préservation. La fondation s’efforce d’enrichir ce fonds quasi inépuisable et procède depuis plusieurs années à la numérisation des différents documents, ce qui les rend accessibles gratuitement au plus grand nombre. Strachwitz a cédé en 2016 les droits du catalogue Arhoolie à Smithsonian Folkways Recordings, qui continue ainsi d’assurer la diffusion des disques du label. En novembre 2023, six mois après le décès de Strachwitz, Chronicle Books a publié Downhome Music: The Stories and Photographs of Chris Strachwitz, dont ce dernier est l’auteur avec Joel Selvin, et que j’ai classé en tête de mon palmarès des meilleurs livres de l’année. Pour en savoir plus sur cet ouvrage, je vous remets plus bas à toutes fins utiles le texte de ma chronique publiée dans le numéro 254 de Soul Bag.

Strachwitz en 1982. © : Jim Lerager / Arhoolie Foundation.
Mais les locaux situés au 10341 San Pablo Avenue à El Cerrito accueillent donc également le Down Home Music Store, un magasin de disques ouvert par Strachwitz en 1976, toujours en activité et qui organise des événements comme des concerts, des rencontres, des ateliers… Enfin, la société Les Blank Films a également élu domicile à cette même adresse. Pour mémoire, Les Blank, qui nous a quittés à soixante-dix-sept ans le 7 avril 2013, il y a donc douze ans jour pour jour, fut un excellent réalisateur qui nous laisse des documentaires souvent dédiés à nos musiques favorites : The Blues Accordin’ to Lightnin’ Hopkins (1968), The Sun’s Gonna Shine (1969, sur Lightnin’ Hopkins), Mister Charlie by Lightnin’ Hopkins (1969, avec aussi Billy Bizor), A Well Spent Life (1971, sur Mance Lipscomb), Spend It All (1971, musique cadienne, Balfa Brothers, Marc Savoy, Nathan Abshire), Hot Pepper (1973, sur Clifton Chenier), Dry Wood (1973, musique cadienne, familles Ardoin et Fontenot), Always for Pleasure (1978, sur La Nouvelle-Orléans), Cigarette Blues (1985, sur Sonny Rhodes), Ry Cooder & The Moula Banda Rhythm Aces: Let’s Have a Ball (1988), J’ai été au bal/I Went to the Dance (1989, musique cadienne) et Marc & Ann (1991, musique cadienne, famille Savoy). Bref, il s’agit bien là d’un patrimoine unique et inestimable…

Harry Oster en train d’enregistrer Percy Randolph. © : Arhoolie Foundation.
Chronique du livre
Downhome Music: The Stories and Photographs of Chris Strachwitz, par Joel Selvin avec Chris Strachwitz, Chronicle Books, anglais, 208 pages, 40 dollars.
La disparition en mai 2023 de Chris Strachwitz nous a laissés orphelins, tant le fondateur du label Arhoolie s’inscrivit parmi les passeurs essentiels des traditions musicales populaires qui nous passionnent. En sage qu’il était, Strachwitz n’avait pas manqué de rassembler ses archives au sein de la fondation Arhoolie (entre enregistrements et photos, il est question de plus de 40 000 documents !), avant de céder en 2016 son catalogue à Smithsonian Folkways Recordings. Aujourd’hui, c’est bien sur la base de ses photos que l’éditeur publie ce livre avec la fondation, alors que Joel Selvin participe aux textes. Une contribution qui ne saurait surprendre, car Selvin, journaliste musical et auteur d’une vingtaine de livres, connaît Strachwitz depuis la fin des années 1960. Créant un parallèle avec sa biographie, il insiste sur le rôle de Strachwitz, qui au-delà du Blues Revival, mène une quête inlassable pour sortir de l’ombre des bluesmen ruraux (mais aussi des artistes de cajun, de zydeco, mexicains…), qu’il interviewe, enregistre et donc photographie. Car on l’oublie un peu, Strachwitz a énormément voyagé depuis sa « base » californienne, d’où l’incomparable richesse du catalogue Arhoolie. Au bout d’une cinquantaine de pages captivantes sur ces périples, on passe au chapitre central, des plus copieux avec près de 200 pages, simplement intitulé « Photographs by Chris Strachwitz ». Cette fois commentées par Strachwitz en personne, les images rares défilent comme dans un rêve. Classées chronologiquement, de 1956 à 1999, elles montrent avec dépouillement et dignité les artistes et les lieux grâce et autour desquels cet homme s’est construit une vie dont il peut être fier car nous l’envions tous. Chris Strachwitz n’est plus, sachons honorer son œuvre inestimable.
© : Daniel Léon / Soul Bag.

© : Arhoolie Foundation.

The Bloodhounds en concert au Down Home Music Store, 10 juillet 2016. © : Jon Hammond.
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