Au programme de mon émission sur YouTube, J. T. Brown (rubrique « Un blues, un jour »), et Robert Connely Farr (rubrique « Nouveauté de la semaine »).
Le saxophoniste J.T. Brown a vu le jour le 2 avril 1918, il aurait donc eu 101 ans aujourd’hui. Le saxophone n’a pas tenu une grande place à Chicago avant la seconde moitié des années 1940, il était davantage présent dans le blues californien sur la Côte Ouest. J.T. Brown fut un peu un pionnier avant des artistes plus connus de la génération suivante, comme A.C. Reed, Eddie Shaw et Abb Locke. Ce dernier vient d’ailleurs de nous quitter, je lui consacre un hommage sur le site de Soul Bag. John Thomas Brown, c’est son nom, vient du Mississippi, de Kosciusko, et a débuté dans une troupe itinérante, peut-être les Rabbit Foot Minstrels… Il est évidemment connu pour sa collaboration avec Elmore James, mais il a accompagné d’autres bluesmen importants. Ses premières années sont en fait mal renseignées, mais il apparaît dès 1945, au moment de son arrivée à Chicago, sur des singles de Roosevelt Sykes et St. Louis Jimmy, puis d’Eddie Boyd et de Washboard Sam en 1947 (avec aussi Memphis Slim au piano).
Ses disques initiaux sous son nom datent de 1950 mais c’est difficile de s’y retrouver car il utilisa plusieurs pseudos pour ses enregistrements au cours de la décennie, en outre sur différents labels. Il débute donc en 1950 pour Harlem, en tant que J.T. « Blow It » Brown & His Harlem Blu-Blowers, enchaîne chez United en 1951 et 1952 comme « Nature Boy » Brown & His Blues Ramblers, signe au passage quelques faces en 1952 cette fois en tant que J.T. Brown pour Premium, et poursuit jusqu’en 1956 sous les noms de Bep Brown, Sax Man Brown et J.T (Big Boy) Brown pour Meteor, J.O.B. et Pearl… Il faut ajouter une séance en 1960 pour Atomic-H qui sera éditée par Delmark en 1972. Au total, cela représente environ 35 faces avec les alternates, rassemblées sur les compilations « Windy City Boogie » (Delmark, 1998) et « The Chronological J.T. Brown 1950-1954 » (Classics, 2005). Certaines furent enregistrées avec de grands bluesmen dont les Broomdusters d’Elmore James, mais aussi Lafayette Leake, Jody Williams, Willie Dixon, Fred Below, Sunnyland Slim, Matt « Guitar » Murphy, S.P. Leary, Big Crawford, Jump Jackson, Ransom Knowling et Little Brother Montgomery.
Parallèlement, on le retrouve avec Jimmy Rogers et donc Elmore, puis avec Howlin’ Wolf et Muddy Waters au début des années 1960, sans oublier Fleetwood Mac en 1969. Mais ce n’est qu’indicatif et il a participé à bien d’autres sessions. J.T. Brown est mort en 1969, à 51 ans. Avant tout accompagnateur, il n’a gravé sous son nom que des singles et pas un seul album. Concernant son jeu, Robert Palmer dans son livre Deep Blues le compare au braiement d’une vieille chèvre. Cette formule sera ensuite reprise par d’autres alors que je la trouve franchement excessive. Certes, Brown n’avait pas la palette et l’énergie de certains de ses pairs, mais il compensait en se fondant parfaitement au sein des groupes. En outre, il fut un des saxophonistes les plus demandés des années 1950 et 1960, ce qui ne peut être un hasard. J’ai choisi pour mon émission un morceau de 1952, sur lequel il évolue en leader et au chant (car il chantait parfois), royalement entouré du groupe d’Elmore James, avec Elmore lui-même à la guitare, Johnny Jones au piano, Ransom Knowling à la basse et Odie Payne à la batterie. Ça s’appelle Dumb Woman Blues.
Pour la nouveauté de la semaine, je voudrais partager une découverte faite après avoir lu une chronique dans le numéro 234 de Soul Bag actuellement en vente. Elle concerne Robert Connely Farr, qui vient de sortir son premier album avec ses Rebeltone Boys, chez Canadian Content, et qui s’appelle « Dirty South Blues ». Connely vit actuellement à Vancouver au Canada mais il vient de Bolton, dans le Mississippi. Proche de Jimmy « Duck Holmes » qui l’a en quelque sorte pris sous son aile, ce chanteur propose un disque assez particulier dans le paysage du blues. Tout au long des dix plages, il règne une ambiance lancinante, un peu hantée, hormis peut-être sur Just Jive, morceau enlevé et plus décontracté. L’environnement musical, avec ses nappes oppressantes de guitare et d’orgue, pour reprendre Benoît Gautier dans sa chronique, me rappelle parfois la transe propre à Otis Taylor, même si le registre diffère beaucoup.
On est ici plus proche du blues de Bentonia (un morceau s’appelle Blue Front Café, le nom du fameux juke joint de Jimmy Duck Holmes) et surtout de Skip James : Connely Farr reprend Hard Times Killing Floor Blues, mais le climat et les thèmes développés dans Cypress Tree Blues et le superbe Hey Mr. Devil évoquent fortement James. L’écriture est d’ailleurs toujours intéressante avec des textes désabusés, comme sur Dirty South Blues qui nous invite à ne pas oublier que le Mississippi s’assimilait encore récemment à une « terre du coton » avec tout ce que cela entend, ou bien carrément sombres quand il évoque une sorte de jungle urbaine sur Lady Heroin. Au bilan, un CD dont il faut prendre le temps de s’imprégner, pour mieux le déguster, un peu déroutant mais originel et personnel, que je vois comme une piste à creuser dans le sens d’une évolution du blues actuel. J’ai programmé dans mon émission Hey Mr. Devil, sans doute mon morceau préféré du CD.
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