Au programme de mon émission sur YouTube, Mamie Smith (rubrique « Un blues, un jour »), et Robert Wilkins (rubrique « Sur scène »).
Parlons aujourd’hui d’une figure centrale de l’histoire du blues et même de la musique populaire, Mamie Smith, née le 26 mai 1891, il y a 128 ans. On la croyait née en 1883, mais son certificat de naissance retrouvé en 2018 par le chercheur John Jeremiah Sullivan atteste que c’est bien 1891. Mais bien sûr et surtout, Mamie Smith restera à jamais la première interprète de ce que nous appelons un blues : c’était le 10 août 1920 avec une chanson intitulée Crazy Blues. Bien avant cela, née Mamie Robinson à Cincinnati dans l’Ohio, elle fut très précoce et chanta dès ses 10 ans dans la troupe des Four Dancing Mitchells. Elle fut ensuite engagée comme danseuse dans d’autres compagnies, et en 1913 elle se produisait dans les théâtres de Harlem. Elle a aussi épousé à cette époque le chanteur William Smith (qui décédera en 1928), devenant donc Mamie Smith.
La suite nous est évidemment plus familière. À partir de 1918, elle apparaît dans la revue « Made in Harlem » de Perry Bradford, un auteur-compositeur-interprète afro-américain qui fut également pianiste, chanteur et danseur. Convaincu du potentiel de la chanteuse, Bradford persuade la marque OKeh de lui faire enregistrer en février 1920 deux titres sur un marché encore très fermé aux Noirs. De toute façon éloignés du blues, leur sortie est retardée pour des raisons légales. Mais le 10 août 1920, lors d’une séance organisée à la hâte, Mamie Smith grave deux nouveaux morceaux, It’s Right Here for You et Crazy Blues. Les ventes du deuxième sont spectaculaires, elles ouvrent en outre le blues au public noir. C’est d’autant plus important à préciser que la radio commence aussi à se développer dans les années 1920, ce qui donne encore plus d’écho à cette forme initiale de blues. Enfin, les premiers disques de blues de Mamie Smith sont à l’origine de cette école de chanteuses qui donnera naissance aux catalogues discographiques spécialement destinés au public noir, les race records. C’est dire son rôle dans l’histoire du blues…
Mamie Smith est extrêmement populaire au début des années 1920 et gagne très bien sa vie : selon Henry Louis Gates, Jr. et Evelyn Brooks Higginbotham dans Harlem Renaissance Lives, ses revenus en royalties atteignent 100 000 dollars et ses prestations lui rapportent au moins 1 000 dollars par semaine. Et son train de vie est en rapport, avec belle demeure, domestiques… Puis la situation se dégrade : elle a des soucis personnels, divorce et se remarie deux fois, se brouille avec Bradford qui cède son contrat à un producteur blanc, avec des conditions évidemment moins avantageuses. Elle continue d’enregistrer pour OKeh jusqu’en 1924 avec son groupe les Jazz Hounds, puis cela s’espace, et ses derniers singles datent de 1931. Mais elle ne reste pas inactive, se produit dans les clubs, les théâtres, fait même une tournée européenne en 1936, puis apparaît dans plusieurs films durant la Seconde Guerre mondiale. Elle s’éteint toutefois dans le dénuement en 1946, à 55 ans. Sa discographie intégrale (1920-1942, soit avec les morceaux réalisés pour des films à la fin de sa carrière) est disponible dans la collection en quatre volumes « Complete Recorded Works in Chronological Order » (Document, 1995). Comme elle a fait des films, il existe quelques vidéos de Mamie Smith. Je vous propose dans mon émission un extrait du film de 1939 Paradise in Harlem de Joseph Seiden, avec la chanson Lord! Lord!.
Pour le gospel, je vous propose le révérend Robert Wilkins, car il se trouve qu’il nous a quittés un 26 mai. C’était en 1987, il y a 32 ans, et il avait 91 ans. Je ne me suis pas arrêté longuement sur son parcours dans mon émission car j’ai choisi un titre qui dure 10 minutes ! Il s’agit d’un artiste très important sur lequel j’aurai de toute façon l’occasion de revenir dans une prochaine émission. Rappelons simplement qu’il est né le 16 janvier 1896 à Hernando, Mississippi, à l’extrême nord du Delta, non loin de Memphis. Il a logiquement débuté dans cette ville, d’abord au sein d’un jug band dans les années 1920, période alors particulièrement faste pour ces formations dans la région… Mais c’est essentiellement en solo qu’il va développer ses qualités de chanteur et de guitariste, notamment à la slide dont il deviendra un des pratiquants les plus émérites de son époque.
Wilkins aura en fait deux carrières, la première dans le blues avec des enregistrements de 1928 à 1936 (seul ou au sein de petites formations comprenant notamment la chanteuse Minnie Wallace et Will Shade, membres du Memphis Jug Band), qui font de cet artiste très talentueux un des fondateurs du blues de Memphis. Mais en 1936, déçu par la violence qui règne lors de certaines de ses concerts, il abandonne le blues et entre en religion. Sa deuxième carrière musicale commence en 1964, alors qu’il est un religieux depuis près de 30 ans, et le révérend qui précède son nom est donc tout à fait officiel. En cette période de Blues Revival, il reprend sa carrière en chantant des textes religieux et on le qualifie d’ailleurs de gospel singer. Il recycle même ses vieilles chansons. C’est le cas de That’s No Way to Get Along, un blues de 1929 qui devient en 1964 The Prodigal Son, avec des paroles complètement changées qui racontent la parabole du Fils prodigue des Évangiles. Une version que j’ai bien sûr programmée dans mon émission…
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