Sur ce site comme sur ma chaîne YouTube, je vous propose une reprise en douceur avec une « minisérie » de deux émissions. Au programme, une sélection de six morceaux (trois nouveautés et trois rééditions), qui font à mes yeux partie des réalisations marquantes de l’années 2019. Je consacre deux émissions à ces titres, une première disponible dès aujourd’hui à cette adresse, et une autre que je mettrai en ligne le week-end prochain (avec bien entendu en complément un article sur ce site).
Je vous propose de débuter avec une réédition, et de partir du côté de La Nouvelle-Orléans avec Snooks Eaglin, grand chanteur et guitariste qui nous a quittés le 18 février 2009 à soixante-douze ou soixante-treize ans. Né Fird Eaglin, Jr. à La Nouvelle-Orléans le 21 janvier 1936 ou 1937, frappé de cécité alors qu’il avait à peine un an, il fut un artiste très précoce. Son nom apparaît en effet sur disque dès 1953 – il n’avait pas encore dix-huit ans –, et il sera actif pendant six décennies, des années 1950 jusqu’à sa mort. Très éclectique, il était certes à l’aise dans le blues mais aussi dans le folk, le R&B, le funk et le jazz, ce dont son jeu de guitare très inventif témoigne. Le label Jasmine a donc sorti « New Orleans Street Singer », une réédition de deux albums parus en 1959, « New Orleans Street Singer » et « That’s Alright ». On entre dans l’univers très personnel d’Eaglin à une époque où il évoluait entre blues, folk et jazz, avec une voix traînante et une guitare aux entrelacs surprenants, presque complexes. Je vous invite à découvrir cela dans mon émission avec la chanson Let me go home whiskey.
Parlons maintenant de Willie Farmer, un chanteur et guitariste né 2 juin 1956 à Duck Hill, Mississippi. Après un premier disque acoustique en 2017 chez Wolf (« I’m Coming Back Home »), il a sorti en 2019 chez Big Legal Mess « The Man From The Hill », un CD remarquable et très différent, électrique et beaucoup plus orienté sur le Hill Country Blues. Du coup, il emprunte un peu à Lightnin’ Hopkins, mais surtout àJessie Mae Hemphill, R. L. Burnside ou encore T-Model Ford. Mais ces influences lui permettent d’imposer une musique très actuelle, à la fois moderne et audacieuse. S’il persiste dans cette voie, il faudra suivre Farmer car son blues énergique s’inscrit parfaitement dans notre époque. Dans le numéro de 234 de Soul Bag, j’ai rédigé la chronique du CD « The Man From The Hill » de Farmer, ainsi qu’un portrait de ce bluesman : je mets en fin du présent article ces deux textes dans leur intégralité. Pour mon émission, j’ai choisi un extrait intitulé I am the lightnin’.
Pour terminer cette première émission sur des disques que j’ai particulièrement aimés en 2019, voici le tour d’un célèbre homme-orchestre, Doctor Ross, avec une autre réédition Jasmine, « Boogie Disease », qui couvre la période 1951-1962, autrement dit en plein âge d’or du blues moderne de Chicago. Né Charles Isaiah Ross le 21 octobre 1925 à Tunica, Mississippi, Doctor Ross chantait et jouait bien sûr de plusieurs instruments, essentiellement de la guitare, de l’harmonica et des percussions. S’il enregistra à Chicago, il vécut aussi à Détroit et fit plusieurs tournées à partir des années 1960 en Europe, où il jouissait d’une grande popularité. Avec Joe Hill Louis, Ross fut d’ailleurs le plus important représentant de la tradition des one-man bands dans les années 1950, et l’un des meilleurs de l’histoire du blues. Il nous a quittés le 28 mai 1993 à soixante-sept ans. Dans mon émission, je vous propose de l’écouter avec son tout premier morceau enregistré le 29 novembre 1951 pour Chess, Country clown.
CHRONIQUE : WILLIE FARMER « THE MAN FROM THE HILL »
© : Daniel Léon / Soul Bag
Comme je le suggère dans le portrait que nous lui consacrons par ailleurs, Joe Farmer nous propose ici un deuxième CD radicalement différent du précédent. Plus de blues acoustique bien sage et trop entendu, mais une musique bien plus rugueuse, agrémentée d’effets divers dont de la wah-wah, de l’écho et de la distorsion, qui n’est pas sans rappeler le Hill Country Blues. Car Big Legal Mess a senti le potentiel de Farmer et l’a emmené enregistrer à Memphis au Delta Sonic Sound Studio de Bruce Watson, auquel on doit pour Fat Possum des sessions mémorables de Junior Kimbrough et R. L. Burnside, entre autres… Pour compléter le tableau, des musiciens spécialistes comme Jimbo Mathus (guitare) et George Sluppick (batterie) figurent au casting. Dès lors, le CD débute avec un son de guitare bien gras, un peu de tambourin et une voix à la limite de la rupture. En deux titres (I feel so bad et Shake it), Farmer se révèle en Jessie Mae Hemphill, version au masculin ! Come back homeet I am the lightning, encore plus « déchirés », rappellent davantage T-Model Ford. Mais Farmer évite de s’enfermer dans un style. L’ancien chanteur de gospel s’entoure ainsi de chœurs sur le churchy At the meeting (avec toutefois de la distorsion), il ne dédaigne pas le blues lent avec Break bad et Daddy was right (sur lequel l’influence de Lightnin’ Hopkins se ressent), d’autant qu’il confirme sa maîtrise du falsetto, et le boogie final The man from the hill achève de convaincre. Il n’y a rien à négliger sur ce disque qui surprend agréablement (surtout quand on connaît le premier…), et qui pourrait permettre à Farmer de se faire une belle place parmi les interprètes d’un blues audacieux et moderne, propre à cette région du nord-ouest du Mississippi décidément bien prodigue en talents originaux.
PORTRAIT : WILLIE FARMER, DU BLUES SOUS LE CAPOT
© : Daniel Léon / Soul Bag
Le blues continue de nous apporter des découvertes, le Mississippi restant une source intarissable… Ainsi, à 62 ans, après s’être produit localement durant quatre décennies dans des formations de gospel, Willie Farmer vient d’inaugurer sa carrière dans le blues en enchaînant quasiment deux albums, le dernier en date dans une veine Hill Country Blues étant particulièrement prometteur…
Farmer est né le 2 juin 1956 à Duck Hill, Mississippi, à deux pas de la bordure est du Delta. Il a grandi à la ferme, au milieu des vaches et des poules, ses parents cultivant également le maïs et le coton. Et justement, pour échapper à la cueillette, il débuta en chantant du gospel à l’église avec sa mère, mais son père et un oncle lui donnèrent aussi le goût du blues, et il a d’ailleurs appris la guitare très jeune. Mais, décennie après décennie, sans jamais complètement cesser de chanter et jouer du gospel et un peu de blues, il ne chercha pas réellement à mener une carrière professionnelle. Il n’a ainsi jamais lâché son travail de mécanicien automobile, jusqu’à ouvrir son propre garage. Mais depuis quelque temps, il aimait revenir au blues, et en 2017, à quasiment 60 ans, il s’est laissé convaincre d’enregistrer un premier album chez Wolf, « I’m Coming Back Home » (sous le nom de Little Willie Farmer). Un CD acoustique qui m’avait moyennement séduit car cédant trop aux reprises de standards, sans compter une présentation bien trop bâclée par le label autrichien.
On devinait toutefois de la qualité chez cet artiste expérimenté, notamment dans son jeu de guitare heurté et expressif hérité de son mentor Lighnin’ Hopkins, ainsi que dans sa voix forgée au gospel, avec d’intéressants effets de falsetto. Et ce premier disque aura des effets bénéfiques. Outre les magazines spécialisés, la presse locale s’intéresse d’un peu plus près à lui, tout comme la Music Maker Relief Foundation, ce qui lui permet aussi de décrocher des engagements. Il joue ainsi davantage autour de Grenada, et même un peu plus au nord, se rapprochant de la région proche d’Oxford et d’Holly Springs. Là-bas, la scène est particulièrement active et l’encadrement favorable à l’enregistrement de disques dans les meilleures conditions. Et Willie Farmer, qui a connu le regretté Leo « Bud » Welch, va pousser la porte d’entrée de « l’école » Big Legal Mess Records pour signer un nouveau CD, « The Man From The Hill », radicalement différent du premier et qui fleure bon le Hill Country Blues.
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