Incroyable et tragique ironie du sort, Syl Johnson est parti hier 6 février 2022, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, seulement six jours après son frère aîné Jimmy, auquel j’avais rendu hommage dans cet article du 31 janvier 2022. La famille Johnson est donc décimée, et nous perdons deux grands artistes qui ont marqué le blues (et la soul pour Syl !) depuis la fin des années 1950. Je me souviens d’un Syl Johnson en 1999 lors de Cognac Blues Passions, puis quelques années plus tard au Bagnols Blues Festival, lors d’un concert durant lequel son harmonica lui avait échappé, glissant entre deux planches de la scène. Il passa alors plusieurs minutes à le chercher, en vain. À l’issue du concert, il préférait en rire. Le Syl Johnson que j’ai connu ne manquait jamais d’humour, même s’il se « distingua » parfois en annulant en dernière minutes certains concerts, aux grand dam des organisateurs de festivals…
Il est né Sylvester Thompson le 1er juillet 1936 à Holly Springs au nord du Mississippi. Dès l’âge de six ans, il est contraint de cueillir le coton, mais le soir venu, il écoute son père, Samuel Thompson, harmoniciste qui joue dans un string band. Naturellement, il apprendra cet instrument avant de se mettre à la guitare, sans doute avec son frère Jimmy dont un des meilleurs amis n’est autre que Matt « Guitar » Murphy. Le père décide de s’installer à Chicago. Il emmène d’abord Jimmy, puis le cadet Mack (futur bassiste), Syl étant le dernier à les rejoindre, en 1950. Ils sont alors les voisins d’un jeune guitariste en herbe de treize ans, Samuel Gene Maghett, qui deviendra Magic Sam, dont Mack Thompson sera ensuite le bassiste. Ainsi entouré, Syl Johnson a dû vite progresser à la guitare, d’autant qu’il a l’occasion encore adolescent de partager la scène avec Junior Wells, Billy Boy Arnold, Elmore James, Howlin’ Wolf, Jimmy Reed, et d’autres encore.
En 1959, il inaugure sa carrière sous son nom sur disque pour Federal, accompagné du groupe de Freddie King, puis quelques faces au début des années 1960. S’il semblait se destiner à une carrière 100 % blues, sa versatilité et sa voix le conduisent à se réorienter vers la soul music, dont il devient un acteur important à Chicago, en se consacrant également à la production d’autres artistes et en créant son propre label. Durant tout son parcours, Syl Johnson se distinguera en passant avec une facilité désarmante du blues à la soul. Bénéficiant d’un premier succès en 1967 avec Come on sock it to me, il ne se contente pas d’enregistrer des chansons légères ou des ballades, et signe ensuite des textes plus engagés à caractère politique comme Is it because I’m black?, qui donnera son nom à l’un de ses plus célèbres albums en 1970.
En 1971, il signe chez Hi et continue d’enregistrer dans une veine soul. Au début des années 1980, après deux albums sur son label Shama, il s’éloigne quelque peu du monde de la musique, le temps d’ouvrir une chaîne de restaurants spécialisés dans les produits de la mer et d’investir dans l’immobilier. Il revient ensuite sur le devant de la scène, donnant souvent plus de place au blues d’autant qu’il enregistre pour des labels comme Delmark et Antone’s. Dans les années 1990, plus que jamais bien décidé à garder le contrôle de sa carrière, il poursuit des rappeurs qui reprennent ses titres (parmi lesquels les Geto Boys, Hammer, The Wu-Tang Clan, Kanye West et Jay-Z) en oubliant de le créditer et évidemment de le payer, obtenant gain de cause. Après des tournées internationales, en particulier en Europe, il espacera ensuite ses apparitions de notre côté de l’Atlantique, mais il restera actif jusqu’à la fin.
Comme c’est désormais l’habitude, pour compléter cet hommage, je vous invite à lire l’article très complet publié sur le site de Soul Bag, richement illustré de nombreuses photographies et proposant des liens vers plusieurs albums de l’artiste.
Les derniers commentaires