Ce chanteur et guitariste fut un des pionniers du Sacred Blues, ce blues sacré qui se caractérisait par une interprétation tirée du blues sur des paroles religieuses propres au gospel. Il fut même sans doute le premier à graver un disque dans le genre, en 1926. Mais Taggart fut aussi un des personnages les plus intrigants de l’histoire du blues et du gospel… Il naît Joel Washington Taggart le 16 août 1892 à Abbeville, Caroline du Sud, mais on ne sait rien de son enfance (on ne connaît d’ailleurs qu’une photo de cet artiste). En 1910, il vit toujours dans le même État, à Spartanburg, où il est inscrit au South Carolina Institute for the Deaf, Dumb and Blind, l’Institut pour les sourds, muets et aveugles de Caroline du Sud. Taggart séjourne ensuite quelque temps en Géorgie.
Installé en 1920 ou 1921 à Chicago, il entre pour la première fois en studio le 8 novembre 1926 à New York, signant pour Vocalion des singles sous son nom, et de magnifiques duos avec sa femme Emma qui l’accompagne au chant. L’alliance de son jeu de guitare ancré dans la tradition de la Côte Est mais avec plus de rudesse que de fluidité, de sa voix rauque ultrapuissante et de ses textes religieux, préfigure le Sacred Blues qui sera magnifié par Blind Willie Johnson à partir de l’année suivante. Les événements vont alors se précipiter. Le 30 juin 1927 à Chicago, Taggart enregistre C & O blues, comme son titre l’indique un blues, ce qui l’oblige de prendre le pseudonyme de Blind Joe Amos. Il exploite le filon et réalise d’autres chansons en octobre et décembre 1928 sous d’autres noms comme Blind Tim Russell et Blind Jeremiah Taylor.
Taggart s’accompagne alors d’un jeune chanteur et guitariste de seulement quatorze ans, Josh White, qui deviendra un bluesman de renom. Mais l’association entre Taggart et White, son cadet de vingt-deux ans, n’a rien d’idyllique. On doit leur mise en relation à John Henry Arnold, personnage peu scrupuleux qui utilise des enfants pour servir de guides à des artistes aveugles. Taggart est non seulement violent avec White, mais ce dernier s’aperçoit qu’il n’est pas totalement aveugle ! Il porte peut-être un œil de verre, les sources varient à ce propos, mais il y verrait partiellement de l’autre œil… Cette triste histoire n’est hélas pas exceptionnelle à l’époque pour les Afro-Américains, et les labels n’y sont pas étrangers, n’hésitant pas à accoler le terme blind (aveugle) au nom des artistes même s’ils ne le sont que partiellement, ce qui est plus « vendeur ».
La carrière discographique de Taggart se poursuit ainsi, avec des disques sous son nom et de nouveaux pseudonymes parfois improbables (Blind Percy & His Blind Band, Blind Jeremiah Taylor, Blind Tim Russell, Blind Joe Donnel, Six Cylinder Smith…), et s’achève en 1934. Il disparaît alors de la scène et s’éteint des suites d’une insuffisance rénale le 15 janvier 1961 à l’âge de soixante-huit ans. Malgré ses travers, Blind Joe Taggart nous laisse une œuvre artistique brève mais très novatrice que l’on ne saurait sous-estimer. Je vous propose donc une série de huit chansons pour illustrer cet article.
– Just beyond Jordan, le 8 novembre 1926. Son premier single.
– Everybody’s got be tried, le 8 novembre 1926. Avec sa première femme Emma.
– C & O blues, le 30 juin 1927. Son premier blues.
– God gonna separate the wheat from the tares, le 30 juin 1927. L’archétype du Sacred Blues originel…
– I’ve crossed the separation line, vers octobre 1928. Son premier titre avec Josh White.
– Scandalous and a shame, vers octobre 1928. Avec cette fois Josh White qui chante en lead.
– Wonder will my trouble then be over, vers décembre 1929.
– When I stand before the king, le 20 septembre 1934.
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