Le whiskey, dont nous convenons qu’il se boit avec modération, est très présent dans les textes des bluesmen, au point qu’établir la liste des chansons dans lesquelles il est évoqué est rigoureusement impossible. Il est en outre rarement question de marques précises, les interprètes s’arrêtant plus volontiers sur des variétés « artisanales » de qualité très aléatoire, réalisées par des distillateurs clandestins (bootleggers), notamment durant la Prohibition aux États-Unis. Il existe toutefois une marque qui se dégage au point d’être très liée au blues, Jack Daniel’s. Parfois qualifié à tort de bourbon, ce Tennessee whiskey en est certes proche, mais il s’en distingue pourtant. Car si le Jack Daniel’s se base sur les mêmes principes, un moût comprenant au minimum 51 % de maïs et un vieillissement en fûts de chêne neufs, il diffère du bourbon en termes de filtration. En effet, avant sa mise en fûts, il est filtré dans une couche de charbon de bois d’érable épaisse de trois mètres, ce qui lui apporte sa douceur caractéristique.
Cette méthode très ancienne s’appelle le procédé du comté de Lincoln, situé au sud du Tennessee, mais on ignore son réel acte de naissance. Toutefois, vers 1820, à Lynchburg (ville du comté de Moore, mais qui jouxte celui de Lincoln), le pasteur luthérien Dan Call tient un bazar. Derrière sa boutique, sans doute pour faire face à d’éventuels coups durs, l’homme d’église a également installé une petite distillerie, où il emploie des esclaves. Parmi ces derniers, figurera un certain Nathan « Nearest » Green (vers 1820-vers 1890), surnommé Uncle Nearest, qui maîtrise à merveille le procédé de filtration du comté de Lincoln. Au tournant des années 1850 et 1860, un adolescent du nom de Jasper Newton « Jack » Daniel, dont l’année de naissance est discutée (entre 1846 et 1849), vient chez Call qui lui présente Green en lui assurant qu’il s’agit du meilleur distillateur de whiskey qu’il connaisse.
Jack Daniel s’initie ainsi aux techniques de distillation avec Nearest Green, et après l’abolition de l’esclavage en 1865, il continue de travailler avec Dan Call, mais aussi avec Green et deux de ses fils. Nearest Green devient son premier maître distillateur, et en fonction de nos connaissances actuelles, le premier Afro-Américain à exercer cette fonction. En 1875, Daniel hérite d’un parent et fonde une distillerie cette fois officielle, mais sans Call qui se dit certainement que poursuivre au grand jour serait peu compatible avec ses activités religieuses. Green quitte ce monde vers 1890, et la marque Jack Daniel’s est aujourd’hui mondialement connue. Il importe toutefois de mentionner que les détails relatifs à l’histoire de Nearest Green et du « secret de fabrication » (le hidden ingredient pour les Américains) qui caractérise ce whiskey sont restés inconnus durant plus de cent cinquante ans ! Car si des publications évoquèrent Green dans les années 1960 et 1970, il faudra attendre une enquête du New York Times, publiée le 25 juin 2016, Jack Daniel’s Embraces a Hidden Ingredient: Help from a Slave, pour en connaître tous les détails…
Mais passons à la musique avec quelques chansons en écoute.
– Moonshine blues en 1923 par Ma Rainey.
– Bootlegger’s blues en 1930 par les Mississippi Sheiks.
– Sittin’ here drinkin’ en 1948 par Muddy Waters.
– Bad, bad, whiskey en 1950 par Amos Milburn.
– Blues in the bottle en 1961 par Lightnin’ Hopkins.
– Whiskey and wimmen en 1970 par John Lee Hooker et Canned Heat.
– Moonshine whiskey en 1974 par Van Morrison.
– One bourbon, one scotch, one beer en 1980 par George Thorogood.
– Whiskey drinkin’ blues en 2012 par Andrew « Jr Boy » Jones.
– À voir cette vidéo sur le site de la Nearest Green Foundation.
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