Au programme de mon émission sur YouTube, Big Walter Horton (rubrique « Un blues, un jour ») et Kirk Fletcher (rubrique « Sur scène »).
Il est des instrumentistes qui laissent une marque profonde dans l’histoire de leur musique, et Big Walter Horton en fait assurément partie. Les références qui viennent en premier à l’esprit sont les deux Sonny Boy Williamson et Little Walter. James Cotton, Junior Wells et Snooky Pryor sont également souvent cités. Quoi qu’il en soit, le cercle est extrêmement restreint. Horton se démarque des six harmonicistes que je viens de citer car il n’a pas eu la même influence, la faute notamment à une personnalité réservée qui l’a aussi privé de se constituer une discographie à la hauteur de ses édifiants talents. Pourtant, malgré ces « handicaps », Horton appartient bien à ce cercle des maîtres de l’harmonica blues. Rarement musicien aura atteint un telle plénitude, aura autant exploité toutes les possibilités et les nuances de ce minuscule instrument, pour en tirer des sons déchirants ou grondants (d’où un de ses pseudos, Mumbles, qu’il n’aimait pourtant pas !), des traits contenus ou terriens, enfin des riffs déliés ou puissants qui faisaient le bonheur de ses accompagnateurs.
Walter Horton, né le 6 avril 1921 (l’année 1918 circule également) à Horn Lake dans le Mississippi, grandit toutefois à Memphis, ou il est très tôt au contact de la scène musicale bouillonnante de la ville. Des plus précoces, il apprend l’harmonica à seulement 5 ans. Ceci dit, les premières années de sa carrière sont difficiles à retracer car il en a livré des versions contradictoires et fantaisistes. En 1927, le nom d’un certain Shakey Walter apparaît sur des enregistrements du Memphis Jug Band, et Horton prétendra que c’était lui, alors qu’il n’avait que 6 ans ! Certes, à cette époque ou un peu plus tard dans la région, il a côtoyé Will Shade, l’harmoniciste du Memphis Jug Band, et s’en est sans doute inspiré, mais il est surprenant de voir certaines sources encore relayer une telle information… En revanche, après avoir beaucoup tourné localement (il aurait aussi brièvement séjourné à Chicago), en juillet 1939, alors qu’il n’a que 18 ans, il joue très probablement de l’harmonica (on a longtemps pensé qu’il s’agissait d’Hammie Nixon) sur les singles du chanteur et guitariste Little Buddy Doyle. Mais étrangement et malgré son jeune âge, il semble déjà connaître des problèmes des santé, peut-être dus à l’alcool, s’éloigne de la scène dans les années 1940 et vit de petits boulots (chauffeur, cuisinier à l’hôtel Peabody !). On le retrouve à la fin des années 1940, toujours à Memphis, où il prend régulièrement part à des émissions de radio, se produit un temps avec B. B. King ou encore Eddie Taylor. Dès lors, il est remarqué par Sam Phillips. En février 1951, sous le pseudonyme Mumbles, il grave une démo et surtout des faces dans le studio de Phillips pour les labels RPM et Modern, et un an plus tard, il en signe d’autres (sous le pseudo de Little Walter !), mais cette fois pour Sun, le label fondé par Phillips en février 1952. Il accompagne aussi Willie Nix et Joe Hill Louis sur quelques singles.
Puis Horton vient à Chicago, enregistre avec Johnny Shines (déjà !) et Tampa Red, et remplace en 1953 Junior Wells, appelé sous les drapeaux, au sein du groupe de Muddy Waters. Vers cette époque, il commence aussi à se faire appeler Big Walter pour ne pas être confondu avec Little Walter… Mais hormis quelques faces sous son nom pour States (1954) et Cobra (1956), Horton se cantonne au rôle d’accompagnateur. Grâce à l’inévitable Willie Dixon, il entre dans « l’écurie » Chess et joue pour Jimmy Rogers (notamment sur Walking By Myself), mais aussi pour Otis Rush, Sunnyland Slim et Lee Jackson chez Cobra (1957). Puis il connaît une nouvelle éclipse et réapparaît en 1963 chez USA sur des singles de Jesse Fortune (avec aussi Buddy Guy !). L’année 1964 marque un tournant, avec un premier album en janvier sous le nom de Shakey Horton (car il a tendance à secouer la tête en jouant), « The Soul of Blues Harmonica » (Argo, la filiale de Chess), qui reprend les musiciens déjà présents sur les singles de Jesse Fortune, et qui ne sont pas vraiment les premiers venus : Willie Dixon (voc), Buddy Guy (g), Jack Myers (b) et Willie Smith (dm)… Quelques faces suivent pour Koko Taylor, avec encore des pointures comme Buddy Guy, Robert Nighthawk, Lafayette Leake, Jack Myers et Clifton James.
Horton est désormais un accompagnateur parmi les plus demandés dans les années 1960, et certaines de ses prestations (en 1966 avec Johnny Shines et Johnny Young sur la compilation « Chicago/The Blues/Today! – Vol. 3 », l’année suivante avec Johnny Young sur « Chicago Blues », évoqué dans mon article du 27 novembre 2018) figurent parmi les meilleures du blues de l’époque. Horton tourne aussi beaucoup et se fait connaître en Europe en participant à l’American Folk Blues Festival, où il impressionne les audiences. Il fait même partie des bluesmen qui enregistrent dans les années 1960 avec des groupes britanniques, il est ainsi présent début 1969 sur le premier volume de « Blues Jam in Chicago » (Blue Horizon), que l’on doit à Fleetwood Mac. En 1972, il est l’auteur avec Carey Bell, un autre grand harmoniciste de Chicago, d’un album somptueux, « Big Walter Horton with Carey Bell » (Alligator). Mais sa discographie déjà maigre ne s’étoffe pas. Personnage très réservé et timide, Horton manque de confiance dans son chant (à tort, car il a une très belle voix), il n’a pas l’âme d’un leader et ne se voit pas en leader de groupes, il déprime, se laisse miner par l’alcool et apparaît prématurément vieilli dans ses dernières années. Ses derniers hauts faits le montrent en 1977 sur l’album « I’m Ready » de Muddy Waters et sur son propre album « Fine Cuts », puis en 1980 sur un live (« Little Boy Blue ») et parmi les musiciens filmés sur Maxwell Street dans le film The Blues Brothers(1980). Puis il s’éteint dans l’indifférence quasi générale le 8 décembre 1981 à l’âge de 60 ans. J’ai choisi pour l’émission un extrait du troisième volume de la compilation « Chicago/The Blues/Today! » enregistrée en 1966 pour Vanguard. Il accompagne Johnny Shines et ça s’appelle « Black Spider Blues ».
L’œuvre de Big Walter Horton est historiquement fondamentale, et les disques qui suivent permettent de mesurer son talent.
– « Blues Harmonica Giant – Classic Sides 1951-1956 » (JSP, 2010). Un coffret de 3 CD qui regroupe ses premières faces, à Memphis puis à Chicago, sous son nom et comme accompagnateur.
– « The Soul of Blues Harmonica » (Argo, 1964). Pour son premier album et pour une fois, c’est lui qui s’entoure des meilleurs (lire plus haut)…
– « Chicago/The Blues/Today! – Vol. 3 » (Vanguard, 1966). Une magnifique compilation qu’il partage avec Johnny Shines et Johnny Young, mais lui joue sur tous les titres.
– « Chicago Blues » (Arhoolie, 1968). Le fameux album qu’il partage avec Johnny Young, sujet de mon émission du 27 novembre 2018.
– « Big Walter Horton with Carey Bell » (Alligator, 1973). Sublime album d’harmonica blues sur lequel les deux instrumentistes aux styles différents se complètent à merveille.
– « Fine Cuts » (Blind Pig, 1977). Son dernier album studio, un bon disque très varié qui mérite d’être réévalué.
– « Little Boy Blue » (JSP, 1980). Un live réussi qui le montre à son avantage avec les Bluetones, les musiciens de Sugar Ray Norcia. Aussi un chant du cygne…
En deuxième partie dans la rubrique « Sur scène », j’ai choisi d’évoquer Kirk Fletcher, un jeune chanteur et guitariste de 42 ans qui fait l’actualité en France en ce début décembre. En effet, aujourd’hui samedi 8 décembre, il se produira à l’Odéon salle Jean-Roger Caussimon de Tremblay-en-France, avec les Daisy Pickers en première partie. Il vient aussi de sortir cet année un nouvel album, « Hold On ». Originaire de Los Angeles où il est né le 23 décembre 1975, Fletcher a appris la guitare à l’âge de 8 ans, mais il viendra au chant plus tard. Il a joué avec des musiciens et des groupes californiens dont Hollywood Fats, Lynwood Slim, Kim Wilson et les Fabulous Thunderbirds, ou encore les Mannish Boys. On peut dire qu’il fait aujourd’hui partie des bluesmen les plus en vue de la côte ouest des États-Unis, avec une musique très moderne qui flirte parfois avec le blues rock. J’ai programmé un extrait de son récent album « Hold On », intitulé « Two Steps Forward ». Si vous voulez en savoir plus sur cet artiste, je vous invite à surveiller la sortie dans quelques jours du numéro 233 de Soul Bag, car vous y trouverez un article sur lui signé Christophe Mourot, qui nous conseille les albums suivants de l’artiste :
– « I’m Here and I’m Gone » (JSP, 2009). Pour le dixième anniversaire de son premier album, Fletcher propose une nouvelle édition avec quatre morceaux bonus. Donne déjà un bel aperçu de son talent de guitariste.
– « Shades of Blue » (Crosscut, 2005). J’aime beaucoup ce disque sur lequel il s’accompagne de Janiva Magness (voc), de Kim Wilson (voc, hca) et du regretté Finis Tasby (voc). Du blues californien exemplaire.
– « Hold On » (autopublié, 2018). Un disque très moderne, et désormais Fletcher chante, et plutôt bien !
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