Au programme de mon émission sur YouTube, Allen Toussaint, (rubrique « Un blues, un jour »), et Van Morrison (rubrique « Top of blues »).
Né le 14 janvier 1938, le grand Allen Toussaint aurait donc eu 81 ans aujourd’hui. À l’heure de l’évoquer, je ne peux m’empêcher de penser à la soirée du 28 juin du festival Jazz à Vienne (Isère), durant laquelle se produisit un Allen Toussaint rayonnant devant un public bien trop clairsemé, à la suite de laquelle j’avais écrit dans mon compte-rendu sur le site de Soul Bag : « Comment se lasser de la musique d’Allen Toussaint ? La voix semble inaltérable, d’une puissance naturelle sidérante pour un homme de soixante-dix-sept ans, le piano aérien sous ses doigts agiles. Le groupe qui l’accompagne est réduit – guitare, basse et batterie – mais compact et vecteur d’un groove exceptionnel de la première à la dernière note. Dans ce dernier secteur, Toussaint est unique, insurpassable, tant son aisance et son naturel restent désarmants. La cohésion apparaît d’emblée (Happiness), se transforme en énergie (Yes we can can, River boat, Here come the girls, A certain girl, Everything I do gonna be funky) ou bien en émotion (Motion, From Beale street to Broadway avec la remarquable guitare bluesy de Renard Poché), et il n’oublie pas de faire un clin d’œil au maître Professor Longhair (It’s a New Orleans thing), voire à le reprendre (Tipitina). Et même quand il nous sert un classique, il trouve le moyen d’être original avec une superbe lecture instrumentale de St. James Infirmary. Impérial, l’inégalable Allen Toussaint, dont les capacités sont intactes, aurait mérité un meilleur accueil, et plus que jamais les absents ont eu tort… »
En apprenant sa mort moins de cinq mois plus tard, le 10 novembre 2015, j’avais eu peine à y croire et je fus profondément choqué tant sa performance étant encore présente en moi. Car on perdait un chanteur, pianiste, compositeur et producteur exceptionnel, auteur de quelques-unes des plus belles pages de la musique louisianaise. Né à La Nouvelle-Orléans, encouragé par une mère fan de musique et un père trompettiste, influencé par Professor Longhair, remplaçant à 17 ans Huey « Piano » Smith dans le groupe d’Earl King, débutant sur disque avec Snooks Eaglin en 1957, il a très vite tracé son destin… Dès lors, il n’attend pas très longtemps pour évoluer auprès de grandes figures comme Dave Bartholomew et Fats Domino. Ses propres disques sortent dès 1958, sous le nom d’A. Tousan, la même année voyant même la parution d’un album d’instrumentaux pour RCA Victor, « The Wild Sound of New Orleans By Tousan ».
Au tournant des années 1950 et 1960, il prend de l’importance en tant que compositeur et producteur, et les bénéficiaires de ses services se nomment Smiley Lewis, Irma Thomas, Ernie K-Doe, Lee Allen, Lee Dorsey, les Neville Brothers, Benny Spellman, Jessie Hill, Betty Harris, sans oublier bien sûr les Meters… Quelques titres de cette période faste ? L’intrumental Java, I Like It Like That, Lipstick Traces (on a Cigarette), Fortune Teller, Working in the Coal Mine, Yes We Can Can, Southern Nights, Lady Marmalade… Progressivement, avec sa réputation qui ne cesse de grandir, Toussaint, s’il continue de travailler avec des artistes louisianais (dont Dr. John mais aussi des Mardi Gras Indians), élargit son spectre bien au-delà de « ses » frontières. Son nom apparaît ainsi aux côtés de Robert Palmer, Willie DeVille, The Band (il contribue aux arrangements des cuivres du fameux film The Last Waltz), Labelle, Paul McCartney, John Mayall, Elvis Costello, Eric Clapton, quelques exemples qui donnent une idée de son rôle et de son importance.
Sa carrière ne semblait pas marquer le pas jusqu’à ce petit matin du 10 novembre 2015, quand, comme l’écrivait Stéphane Colin dans son hommage sur le site de Soul Bag, « à la suite d’une dernière Monday night, l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle, chantre de la musique de La Nouvelle-Orléans, a pris la tangente sans prévenir. » Ainsi s’éteignit Allen Toussaint, à l’âge de 77 ans des suites d’un arrêt cardiaque, juste après un concert à Madrid, en Espagne. Cette ultime performance du 9 janvier 2015 a été enregistrée, et j’ai justement choisi pour mon émission un extrait de ce show, Brickyard Blues.
L’œuvre d’Allen Toussaint est évidemment colossale. Malgré ses multiples activités, il a trouvé le temps de signer plusieurs albums fondamentaux sous son propre nom. Outre son tout premier de 1958 évoqué plus haut (« The Wild Sound of New Orleans By Tousan »), plusieurs de ses disques des années 1970 sont des références, notamment ceux qui composent la trilogie « Toussaint » (Scepter, 1970) – « Life, Love and Faith » (Reprise, 1972) – « Southern Nights » (Reprise, 1975). Parmi ses albums plus récents, « Connected » (NYNO, 1996), « The River in Reverse » (avec Elvis Costello, Verve, 2006) et « The Bright Mississippi » (Nonesuch, 2009) sont mes favoris.
Pour ce « Top of Blues » du lundi, et ce sera une habitude pour cette rubrique dans l’émission comme sur ce site, je m’arrête sur le Powerblues, le classement des meilleurs albums du mois selon les animateurs du Collectif des radios blues (CRB). Pour le mois de décembre, le podium du dernier Powerblues de l’année 2018 se compose donc de Van Morrison pour « The Prophet Speaks » (Caroline), Delta Moon pour « Babylon Is Falling »(Jumping Jack) et Same Player Shoot Again pour « Our King Freddie » (Bonsai Music).
Aujourd’hui âgé de 73 ans, Van Morrison est particulièrement actif depuis quelques années, comme s’il voulait rattraper le temps perdu, il enregistre plus d’un album par an et « The Prophet Speaks » est tout simplement son quarantième album studio ! Malgré cela, il ne sacrifie pas la qualité et ce dernier disque est effectivement d’un bon niveau, d’autant qu’il est bien équilibré entre compositions personnelles et reprises. Avec sa voix exceptionnelle, car Morrison est un des meilleurs vocalistes de soul blues de sa génération, il peut pratiquement tout chanter, y compris du John Lee Hooker. Pour rester dans l’esprit de cette émission, j’ai donc choisi le très fameux Dimples.
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