Au programme de mon émission sur YouTube, Eddie Shaw (rubrique « Un blues, un jour »), et Kennedy Milteau Ségal (rubrique « Nouveauté de la semaine »).
La première page de mon émission du jour revient sur le parcours d’Eddie Shaw, qui nous a quittés il y a tout juste un an, le 29 janvier 2018 à l’âge de 80 ans. C’est assurément un des saxophonistes les plus importants de l’histoire du blues, qui passa notamment de nombreuses années au sein des formations de Muddy Waters et d’Howlin’ Wolf. En complément, je vous propose ici le texte intégral de l’article que j’avais publié sur le site de Soul Bag en son hommage au moment de sa mort, légèrement réadapté avec des liens supplémentaires et une sélection discographique.
EDDIE SHAW, 1937-2018
© : Daniel Léon / Soul Bag
Les sonorités âpres et volubiles de son saxophone auront marqué le blues moderne durant plus de six décennies. Car Eddie Shaw, qui s’est éteint ce 30 janvier 2018 à l’âge de 80 ans, était précoce… Né le 20 mars 1937 sur une plantation non loin de Stringtown, environ 15 kilomètres au nord de Greenville, il apprend la musique dès son enfance. Greenville est une localité importante du Delta, presque deux fois plus peuplée que Clarksdale (plus de 20 000 habitants contre 12 000), avec une scène musicale bien développée. Tout en poursuivant sa scolarité et après avoir brièvement vécu à Rosedale, Eddie arrive à Greenville et s’intéresse d’emblée aux cuivres : il s’essaie au trombone, à la clarinette et bien sûr au saxophone. Il a pour professeur Winchester « Little Wynn » Davis, facteur et chef d’orchestre qui aime faire appel à ses meilleurs élèves pour se produire localement.
Dès ses 14 ans, son niveau lui permet d’intégrer le groupe de son lycée, les Green Tops, et surtout de fréquenter des musiciens comme Charlie Booker, Willie Love, Little Milton, Oliver Sain – saxophoniste comme lui – et Ike Turner. Selon certaines sources, en 1952, il aurait même pris part avec ce dernier à une session d’enregistrement pour la radio WROX à Clarksdale (ville natale de Turner), mais aucune trace ne subsiste de cette session. Eddie Shaw se rend ensuite à Itta Bena pour étudier au Mississippi Vocational College, et en 1957, il est remarqué lors d’un concert par Muddy Waters, qui le convainc de rejoindre son groupe pour la suite de la tournée qui s’achève à Chicago. Shaw n’hésite pas longtemps, et après avoir expédié quelques « affaires courantes », il s’installe dans la Windy City et retrouve Muddy.
Pourtant, un autre grand saxophoniste, A. C. Reed, fait déjà partie de la formation de Muddy. Si les deux instrumentistes semblent cohabiter sans difficulté, Shaw a plus de mal avec d’autres membres du groupe, trop enclins à boire et à se quereller. Il le relate dans Moanin’ at Midnight – The Life and Times of Howlin’ Wolf(par James Segrest et Mark Hoffman, Thunder’s Mouth Press, 2005) : « Un soir, on jouait au Mel’s Hideaway à Chicago, sur Loomis et Roosevelt Road. Juste avant le début du show, on attendait, assis dans un break à l’extérieur. Vers 21 heures, Pat [Hare], Mojo Buford et Otis Spann, qui avaient bu, ont commencé à s’engueuler et à se battre. J’ai sauté de la voiture en leur demandant d’arrêter et en disant que j’en avais marre de leurs conneries ! Avant même l’arrivée de Muddy, j’avais quitté le groupe. » Cette scène se situe vers 1962 car Eddie Shaw rejoint alors le groupe d’Howlin’ Wolf, avec lequel il restera 14 ans, jusqu’à la mort du Wolf en 1976. Quant à la brouille entre Shaw et Muddy, elle durera quand même cinq ans.
Dans les années 1960, Eddie Shaw joue et tourne avec d’autres bluesmen de Chicago, dont Freddie King, Otis Rush et Magic Sam, contribuant ainsi aux belles heures du West Side Sound. En 1966, le saxophoniste grave pour Colt un single sous son nom, sur lequel Magic Sam tient la guitare. Les deux hommes seront à nouveau réunis deux ans plus tard par Delmark sur le célèbre album « Black Magic », avec aussi Lafayette Leake (piano), Mighty Joe Young (guitare) Mack Thompson (basse) et Odie Payne Jr (batterie). À partir de 1971, Shaw prend de plus en plus d’importance auprès d’Howlin’ Wolf dont la santé décline sérieusement, jusqu’à devenir son manager. Et s’il ne joue pas sur le fameux « The London Howlin’ Wolf Sessions » (avec les Rolling Stones, Ringo Starr, Eric Clapton, Stevie Winwood…), il se charge des arrangements. Il écrit également des compositions, pour Howlin’ Wolf toujours (« The Back Door Wolf » en 1973), mais aussi pour Muddy (« « Unk » In Funk »en 1974).
Après le décès du Wolf, il fonde son groupe naturellement baptisé Wolf Gang et signe un premier album bien difficile à trouver, « Have Blues Will Travel » (Simmons, 1977). Mais comme il est également un très bon chanteur, il entame véritablement sa carrière personnelle en 1978 – très brillamment sur l’anthologie « Living Chicago Blues – Volume 1 » chez Alligator –, durant laquelle il démontrera toujours le même dynamisme sans faille et une propension pour des textes souvent pleins d’humour. En 30 ans, de 1982 à 2012, il signe une dizaine d’albums qui contiennent tous d’excellents moments : outre son premier cité plus haut, « Movin’ and Groovin’ Man » (Isabel, 1982), « King of the Road » (Rooster, 1985), « In the Land of the Crossroads » (Rooster, 1992), « Home Alone » (Wolf, 1995) et « Still Riding High » (autoproduit, 2012) sont assurément recommandables. Infatigable, il apparaît même dans un film en 2007 (Honeydripper de John Sayles, avec Danny Glover, Gary Clark Jr., Mable John, Keb’ Mo’…), et ne cesse de tourner partout aux États-Unis et dans le monde. C’est bien une figure incontournable parmi les plus attachantes du blues contemporain qui vient de nous quitter.
Pour mon émission, j’ai pris un extrait de son album enregistré en 1982 en France, qui s’appelle Louisiana Blues.
Ma nouveauté de la semaine aurait très bien eu sa place dans la rubrique « Blues in France » demain car deux musiciens français sont aujourd’hui à l’honneur. Il s’agit de Jean-Jacques Milteau et de Vincent Ségal, qui composent un trio avec le Canadien Harrison Kennedy. Ça donne en intitulé Kennedy Milteau Ségal, et leur album s’appelle « Crossborder Blues » (Naïve). On connaît certes Harrison Kennedy, excellent chanteur et multi-instrumentiste de blues, et bien entendu Jean-Jacques Milteau et son harmonica, qui honorent le blues « made in France » depuis de nombreuses décennies. Mais pour ma part, je découvrais totalement la violoncelliste Vincent Ségal. Cet artiste né le 27 avril 1967 à Reims s’est formé au classique et il a obtenu un premier prix au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Puis son parcours s’est diversifié et il a expérimenté plusieurs styles dont le jazz (Glenn Ferris), la new wave (Elvis Costello, Vic Moan), le rock (Sting), le hip-hop (Bumcello), la chanson française (il a en particulier beaucoup travaillé avec Mathieu Chedid), enfin les musiques du monde dont celles d’Afrique de l’Ouest (Mama Ohandja, Ballaké Sissoko)…
Eh bien vous pouvez me croire, son instrument et son approche conviennent parfaitement au blues auquel il donne une couleur toute particulière pleine de nuances. Et finalement le disque porte fort bien son titre, il s’agit de se jouer des frontières, au moins musicales en tout cas. Au niveau du registre, c’est bien du country blues, mais écoute après écoute il révèle toute son originalité et on se rend compte que le disque parvient à renouveler le genre sans en perdre l’esprit, ce qui n’était sans doute pas gagné d’avance… J’ai choisi pour mon émission un extrait qui s’appelle Here Comes Sunday Morning.
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