Après une succession de trois nécrologies, surtout en cette période de fêtes, il importait de sortir de cette spirale infernale. Nous vous proposons de remonter à une naissance, celle de Pops Staples, un chanteur et guitariste qui aura marqué le siècle dernier dans le gospel, le R&B, la soul et même le blues. Roebuck Staples voit le jour le 28 décembre 1914 près de Winona, Mississippi, dans une famille de quatorze enfants dont il est le plus jeune. Il grandit toutefois plus à l’ouest, sur une plantation près de Drew, localité connue pour accueillir le tristement célèbre Mississippi State Penitenciary, généralement appelé Parchman Farm. Comme nombre d’Afro-Américains de sa génération, il écoute d’abord des chanteurs à l’église et chante chez lui en famille.
Mais dans cette région du Delta où les plantations sont nombreuses, il rencontre inévitablement des bluesmen, à commencer par Charlie Patton qui vit tout près, à Dockery. Il abandonne l’école à treize ans, décide de se mettre à la guitare et côtoie d’autres grands bluesmen du Delta, Robert Johnson, Son House, Robert Lockwood Jr., Bukka White… Il chante parallèlement dans un petit groupe, les Gospel Trumpets. Cette jeunesse entre gospel et blues (finalement pas si courante car il fallait alors choisir l’une ou l’autre musique) marquera à jamais le style personnel de Pops Staples. Décidément précoce dans tous les secteurs, il est déjà marié et père d’une fille, Cleotha (1934-2013), en 1935, date à laquelle la famille part pour Chicago. Tout en chantant au sein d’une formation de gospel, les Trumpet Jubilees, Staples travaille dans une conserverie (Armour and Company), une aciérie, dans le bâtiment…
Sa famille s’agrandit et sa femme Oceola lui donne trois autres enfants, Pervis (1935-2021), Yvonne (1937-2018), et bien sûr Mavis, née en 1939. Peu après, malgré leur jeune âge, ses enfants (sauf Yvonne) se produisent localement avec lui dans les églises locales, et vers 1948 le groupe se fait appeler The Staple Singers (Staple sans « s » final contrairement au nom de famille). À partir de 1953, le groupe grave ses premières faces pour Royal, United et Sharp (dont This may be my last time, que les Rolling Stones adapteront sous le titre The last time), mais doit attendre 1956 en signant chez Vee-Jay pour réaliser ses premiers succès, notamment Uncloudy day. En 1960, paraît un single de deux superbes chansons, Don’t drive me away et Will the circle be unbroken, préambule à leur premier album, « Will the circle be unbroken? ». Jusqu’au milieu des années 1980, les Staple Singers enregistreront près de trente albums. Leur gospel, qu’ils teinteront progressivement de R&B, de blues, de soul et même parfois de funk, leur vaudra une immense popularité, et j’aurai forcément l’occasion de revenir plus spécifiquement sur leur grande et belle histoire.
Quant à Pops Staples, si on excepte une participation en 1969 à l’album « Jammed Together » (Stax) avec Albert King et Steve Cropper, il entame véritablement sa carrière solo à la fin des années 1980 et sort trois disques : « Pops Staples » (I Am Records, 1987), « Peace to the Neighborhood » (Point Blank, 1992) et « Father Father » (Point Blank, 1992). À cela s’ajoute « Don’t Lose This » paru en 2015 chez dBpm/Anti-, qui comprend ses derniers enregistrements effectués en 1999 et rassemblés par sa fille Mavis. Autant d’albums remarquables qui donnent une belle place au blues, et sur lequel son jeu de guitare économique (issu du Delta mais réadapté au gospel) et son chant poignant font merveille. Après une longue carrière d’une rare richesse, Pops Staples nous a quittés le 19 décembre 2000 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
À écouter.
– These are they en 1953, premier single des Staple Singers..
– Uncloudy day en 1956, leur premier succès.
– Tupelo en 1969, avec Albert King et Steve Cropper.
– I shall not be moved en 1992, avec entre autres Ry Cooder et Terry Evans.
– What am I treated so bad en 1994.
– Will the circle be unbroken en 1999.
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