Si le Mississippi reste l’État « historique » des origines du blues, la Louisiane occupe également une place centrale pour la diversité unique de ses traditions musicales. Elle nous laisse de nombreux artistes mais aussi d’autres acteurs du secteur et des labels discographiques, à commencer par Jewel Records dont je vous propose aujourd’hui d’évoquer le parcours. La marque est fondée par Stan Lewis en 1963 à Shreveport, grande ville du nord-ouest de l’État bénéficiant d’une position géographique « stratégique » à peu près à égale distance de Dallas, Texas, à l’ouest, et de Jackson, Mississippi, à l’est. Né dans cette ville le 5 juillet 1927, Stanley Joseph Lewis ne débute pas dans l’industrie musicale au moment de la création de Jewel.
En effet, le 22 juin 1948, à vingt ans, avec l’argent gagné en vendant des journaux, Lewis ouvre un premier magasin, Stan’s Record Shop, et distribue progressivement des disques de R&B, de rock ‘n’ roll et de blues, et à partir de 1954 des labels de plus en plus importants dont Atlantic, Chess et Specialty. Trois ans après la diffusion de la célèbre chanson de Lowell Fulson Reconsider baby (gravée le 27 septembre 1954 pour Checker, filiale de Chess), il se distingue en 1957 en étant crédité comme coauteur du Susie Q de Dale Hawkins, simplement parce que la fille de Lewis, Susan, en aurait inspiré les paroles ! Un subterfuge qui aura sans doute permis à Lewis de percevoir des royalties conséquentes grâce à cette chanson très populaire… Homme d’affaires avisé, Lewis se fait connaître en communiquant abondamment auprès de stations de radio dans pratiquement tous les États du sud, ce qui fait de lui le plus gros distributeur de la région (un certain Elvis Presley est un client régulier).
Et en 1963, encouragé par Leonard Chess et pour entrer dans une autre dimension, il lance donc Jewel Records. Paru l’année suivante, son premier single (Everybody’s laughing/Everybody knows), qui porte la référence 728, soit le numéro sur Texas Street où se trouve son magasin à Shreveport, est l’œuvre de Bobby Charles, auteur en 1955 de See you later, alligator ! Au total, Jewel sort treize singles en 1964, par des artistes méconnus (pop, rock, R&B…) qui ont peu à voir avec l’objet de ce site, mais dès 1965, des artistes de blues et de gospel apparaissent au catalogue dont The Traveling Echoes, The Carter Brothers, Rev. Willie Morganfield (un cousin de Muddy Waters), Peppermint Harris, Ted Taylor, Jerry McCain. Rapidement, en 1965 et 1966, Lewis fonde deux nouveaux labels, Paula (d’après le prénom de sa femme Pauline) et Ronn (d’après le prénom de son frère Ronnie), pour s’ouvrir à d’autres genres dont la country, le jazz, la soul, le funk…
Si le gospel reste très présent au catalogue, la place du blues ne cesse de croître entre 1966 et 1968 avec entre autres Elmore James (singles tirés du catalogue Trumpet), Frank Frost, Wild Child Butler, Lightnin’ Hopkins et Ray Agee qui s’ajoutent aux artistes précédemment cités. Et en 1967 justement, Lewis franchit une nouvelle étape et propose cette fois des albums dans la série 5000, mais j’y reviendrai en fin d’article. Parallèlement, tout va bien pour Stan « The Record Man » Lewis et Jewel Records. Ainsi, dans le numéro du 11 mars 1973 de la revue Billboard, Bill Williams écrit dans un article intitulé « Stan Lewis Sets Records With His Operation » : « Lewis assure la distribution de plus de 600 labels (…). En 1972, il a vendu 2 654 515 singles et 470 172 albums. » Des chiffres à faire pâlir bien des distributeurs actuels… En 1983, il se déclare en faillite mais reste actif, puis vend finalement ses droits en 1999 à eMusic. Il s’éteindra le 15 juillet 2018 à quatre-vingt-onze ans, dans sa ville natale qu’il n’aura donc jamais quittée.
Au total, le catalogue de Jewel Records comptera quelque 1 060 références sur différents supports (singles, LP, cassettes, CD…), dont environ 250 consacrées au blues. Il est donc impossible d’en dresser l’inventaire ici ! Mais je souhaite m’arrêter sur la série 5000, initiée en 1968 et essentiellement composée d’albums de blues, avec quelques références soul, cajun, zydeco, et même un album texano du groupe The True King Band ! Sur 44 albums (dont quelques compilations et rééditions), environ 40 entrent dans notre sphère et ne concernent pas des premiers venus : Lightnin’ Hopkins, Lowell Fulson (Fulsom), Memphis Slim, John Lee Hooker, Charles Brown, Sunnyland Slim, Roosevelt Sykes, Frank Frost, Big Joe Turner et même B.B. King en font ainsi partie !
Pour ma sélection de dix chansons en écoute, j’ai toutefois choisi des singles originaux des années 1960, moins courants.
– Where is the road that leads home en 1965 par The Traveling Echoes.
– Only the lord is able to help us en 1965 par Willie Morganfield.
– Markin’ time en 1965 par Peppermint Harris.
– Homogenized love en 1965 par Jerry McCain.
– Dust my broom en 1951 par Elmo James, réédition de 1966.
– My back scratcher en 1966 par Frank Frost.
– The storm is passing over en 1967 par The Southerners.
– Count the days I’m gone en 1967 par Ray Agee.
– Put it all in there en 1968 par Wild Child Butler.
– Back door friend en 1968 par Lightnin’ Hopkins.
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