La vie de ce chanteur, pianiste et compositeur, créateur entre autres de l’inoubliable classique The thrill is gone, s’assimile à un parcours d’obstacles. On sait peu de choses de ses premières années, sinon qu’il naît Roy Theodore Hawkins le 7 février 1903 à Jefferson, une petite ville du nord-est du Texas pas très éloignée de Shreveport. Il semble s’installer à la fin des années 1930 à Richmond en Californie, mais il n’est pas découvert avant 1948 dans un club d’une autre ville de la baie de San Francisco, Oakland, par l’inévitable producteur local Bob Geddins. Alors âgé de quarante-cinq ans et sans doute fort d’une longue expérience dans les clubs locaux, on ne s’étonnera pas d’apprendre que Geddins lui permet de graver ses premières faces la même année pour ses labels Cava-Tone puis Down Town.

Dès l’écoute des premières chansons, on comprend l’intérêt de Geddins. Outre des vocaux affirmés et expressifs, au sein d’une formation délicieusement cuivrée, Hawkins se distingue par un jeu de piano abouti, très papillonnant et parfaitement dans l’esprit de l’époque sur la Côte Ouest, entre Cool Blues, R&B, titres annonciateurs du rock ‘n’ roll ou encore boogie woogie ! Dès l’année suivante, l’artiste est « récupéré » par les frères Bihari et leur label Modern, aux moyens bien supérieurs à ceux de Geddins. Hawkins enchaîne les faces et ses succès font rapidement de lui un artiste phare de la marque. Un coup d’arrêt brutal survient toutefois en 1949, quand il est victime d’un grave accident de voiture qui le laisse paralysé du bras droit.

Malgré ce coup du sort qui l’empêche désormais de jouer du piano, il reste actif et se concentre sur le chant et les textes. Le 14 décembre 1949, il enregistre Why do things happen to me, qui atteint la deuxième place des charts R&B de Billboard. On doit les paroles à Bob Geddins, qui les a écrites pendant la convalescence de Hawkins, et qui vend les droits à Jules Bihari, qui s’empresse de s’en attribuer le crédit sous le nom de Jules Taub ! B.B. King (déjà !) en 1958 puis James Brown l’année suivante reprendront la chanson… Puis vient The thrill is gone, toujours chez Modern, réalisée le 25 avril 1951, autre grand succès qui se hisse à la sixième place des charts. Hawkins en est bien le coauteur (avec Rick Darnell), mais une fois encore le crédit mentionne « Hawkins-Taub », nouvelle appropriation de Jules Bihari… Ces pratiques honteuses priveront bien sûr Hawkins des royalties auxquelles il avait pourtant droit. Fin juin 1969, sur son album « Completely Well » (BluesWay), B.B. King en fera donc un hit planétaire toujours abondamment repris de nos jours.

Quant à Hawkins, il continue d’enregistrer pour les labels des frères Bihari jusqu’en 1955 (pour Modern puis RPM en fin de période), avant d’apparaître plus sporadiquement pour d’autres marques bien plus obscures comme Music City et Rhythm, enfin pour Kent (autre propriété des Bihari !), pour laquelle il signe ses derniers titres en 1961. Visiblement retiré de la scène musicale, il travaille ensuite dans un magasin d’ameublement. Mais on manque en fait également d’éléments sur la dernière partie de son existence, on sait juste qu’il nous a quittés le 19 mars 1974 à l’âge de soixante-treize ans. Passons maintenant à notre sélection de chansons en écoute de la part d’un bluesman qui n’a pas eu la carrière que son talent aurait mérité. Photos :  © Stefan Wirz.

They raided the joint, probablement en 1948 (même si YouTube mentionne 1947). Sa première chanson.
Ain’t no fault of mine, probablement en 1948 (même si YouTube mentionne 1947).
Christmas blues en 1948.
Roy’s boogie en 1948.
Why do things happen to me en 1949.
The thrill is gone en 1951.
What a fool I was en 1961.