Je me suis déjà arrêté dans un article du 23 janvier 2024 sur la remise d’un Keeping the Blues Alive Award par la Blues Foundation à la maison du Blues de Jacques et Anne-Marie Garcia, et un peu plus tôt, dans une interview de Jacques publiée le 24 novembre 2023, il revenait sur les coulisses de cette belle aventure. Ce n’est pas tous les jours que des acteurs français du blues obtiennent une telle récompense (c’est précisément la dixième fois depuis la création de ces Awards en 1981, remis chaque année à une dizaine de récipiendaires), et comme je dispose d’éléments supplémentaires, j’y reviens bien volontiers.
Outre quelques images de la cérémonie, vous trouverez sur le site de France Blues la traduction de la présentation officielle de la maison du Blues par la Blues Foundation, un article de La Nouvelle République paru le 20 janvier dernier, et ci-dessous le texte intégral du discours de remerciements du couple Garcia. Et avant de conclure, je ne manque surtout pas de vous rappeler que Bobby Rush, parrain et président d’honneur du Musée européen du Blues (dont la maison du Blues est le siège), tout auréolé de son récent Grammy Award, donnera en ce lieu quatre concerts exceptionnels du 14 au 17 février 2024 !
Discours de remerciements lors de la remise du Keeping the Blues Alive Award le 19 janvier 2024 à Memphis (Jacques et Anne-Marie Garcia)
Jacques Garcia : « Nous sommes très touchés par cette récompense qui met en évidence 40 années consacrées au blues. Nous remercions la Blues Fondation qui nous honore et toute la communauté du blues qui a appuyé notre dossier, en Europe avec France Blues et son président Fred Delforge, mais aussi aux Etats-Unis avec Debbie Bond et Rick Asherton de l’Alabama. Notre dossier cumule beaucoup de lettres de recommandation de la part de bluesmen, tels que notre parrain du musée monsieur Bobby Rush ou Joe Louis Walker ou Terry « Harmonica » Bean, mais aussi de personnalités avec qui nous avons eu des relations tout au long de notre parcours, David Evans, William Ferris, mais aussi des personnalités françaises qui ont obtenu déjà une récompense, Gérard Herzhaft, Jacques Périn, Didier Tricard, Jean Guillermo. Merci à tous de leur soutien, surtout à ceux que je n’ai pas cité. Je pense que si nous avons eu tous ces soutiens, c’est [parce] que nous avons toujours travaillé honnêtement dans tous les projets que nous avons développés, en gardant des relations professionnelles mais aussi amicales.
Le blues, c’est ma vie, et c’est devenu aussi la vie d’Anne-Marie à partir de 1988. Je me dois de lui rendre hommage en ce jour, car sans elle, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Le virus est venu en 1962, j’avais dix ans et j’ai vu des reportages sur les manifestations pour les droits des Afro-Américains, ça deviendra mon socle de construction personnelle, et je suis déjà très à l’écoute des nouveaux courants musicaux de l’époque, le rock mais aussi le rhythm ’n’ blues avec des artistes comme Otis Redding, Ray Charles, The Four Tops, The Temptations… C’est vers 18 ans que je vais découvrir le Country Blues avec Litghtnin’ Hopkins et le blues électrique avec Muddy Waters en concert en 1971 en France. À partir de ce concert, je vais approfondir et découvrir tous les courants musicaux qui vont contribuer au rayonnement du blues. Création de festival à partir de 1984, création de Rhésus Bkues Productions, une agence de productions en 1989 avec mon ami Jean-Luc Suarez, et avec laquelle nous organisons des tournées européennes avec Phillip Walker, Joe Hughes, Joe Louis Walker, Otis Grand, Jessie Mae Hemphill, R.L. Burnside, Johnny Shines, John Hammond pour ne citer qu’eux, et la création d’un label avec notre fierté d’avoir enregistré le premier CD d’Otis Grand (décédé l’année dernière) « He Knows the Blues » en 1990 à Lyon. »
Anne-Marie Garcia : « On dit souvent que derrière chaque homme il y a une femme, eh bien me voilà ! Nous avons créé un premier club de blues autour de Lyon en 2009, que nous ferons vivre pendant trois ans. Nous avons organisé un concert et une conférence pour le 100e anniversaire de la naissance de Robert Jonson en 2011, en présence de Steven Johnson, son petit-fils , et David Evans, ainsi que des concerts et nuits du blues. Pour des raisons professionnelles, nous avons été amenés à quitter la région et nous rapprocher de Paris. Après s’être installés, nous avons regardé ce que nous pourrions monter comme projet dans le centre de la France, et nous avons investi dans l’achat d’un bâtiment dans lequel nous voulions créer un sanctuaire du blues. La maison du Blues ouvre en 2017 avec un café associatif, un club de blues mais crée aussi le Musée européen du Blues en 2019. Des concerts pratiquement chaque week-end avec une programmation internationale. Le musée a bénéficié d’une belle scénographie et plaît aux visiteurs. Nous nous sommes attachés à présenter les fondements de cette musique que sont l’esclavage et les luttes pour les droits civiques. Nous avons aussi souhaité mettre en lumière toutes nos rencontres lors des tournées avec des artistes américains, mais aussi celles que nous avons faites sur place aux USA lors de nos voyages depuis 2004. Chaque pièce exposée dans le musée est en lien avec une histoire, une rencontre.
Pour moi, la découverte du blues a été surtout des rencontres d’hommes et de femmes avec des histoires de vie qui nous donnent une leçon de courage et de ténacité, pour partager leurs passions dans des situations souvent peu confortables. Ces personnes nous ont toujours accueilli sans problème, en nous accordant du temps et en partageant leur histoire malgré notre bien modeste position ou expérience. Ce furent des moments de vraies rencontres inoubliables malgré la disparition de nombre d’entre eux aujourd’hui. Merci à Bobby Rush d’avoir accepté d’être le parrain et président d’honneur du musée, car nous l’avions choisi pour sa carrière, mais aussi pour ses engagements.
Notre lieu est atypique car l’équipe est entièrement bénévole, aucun salarié, et nous les remercions pour leurs engagements. Nous avons de très bonnes fréquentations sur les concerts et les visiteurs du musée sont de plus en plus nombreux. Le public est lui aussi souvent peu spécialiste du blues mais ressort toujours en ayant fait de belles découvertes et l’envie de les approfondir. Nous essayons de transmettre ces valeurs de rencontre et de partage dans nos échanges au musée et au club. Nous voulons dans notre lieu que chacun respecte l’autre, les musiciens, le public et les personnes rencontrées durant les concerts. On espère que les personnes qui viennent puissent ressentir cet esprit de trouver le meilleur en chacun. Nous avons fait cette expérience en arrivant à Châtres-sur-Cher : nous ne connaissions personne et nous avons trouvé des gens super qui sont devenus des bénévoles extraordinaires (ils pensent à nous en ce moment et nous aussi !)
Les visiteurs découvrent les luttes des Afro-Américains et ainsi le blues devient une arme contre le racisme ! Nous avons créé ce lieu en France pour que soit protégé, sauvegardé et diffusé le blues, notamment auprès des jeunes générations avec nos actions avec les scolaires et les étudiants. Les bluesmen américains ont toujours bien apprécié l’accueil qu’ils ont reçu en France et nous avons eu la chance de voir sur nos scènes et festivals tous les meilleurs depuis les années 1960, continuons cette mission car le blues doit rester toujours vivant en France. Faites-nous confiance pour garder le blues vivant, en tout cas aussi longtemps que nous serons vivants aussi !
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