Donald, Ralph et Kenneth Kinsey. © : Profil Facebook du Kinsey Report.

La famille Kinsey forme une des familles les plus notables dans le secteur des musiques qui nous intéressent. Nul n’a oublié le « patriarche », Lester « Big Daddy » Kinsey Jr. (1927-2001), chanteur, guitariste et harmoniciste de Chicago Blues même s’il vivait à Gary dans l’Indiana. Hélas, ce début d’année 2024 est terrible car deux de ses fils nous ont quittés à seulement trois semaines d’écart. Ralph Kinsey, né le 26 avril 1952 à Gary, est parti le 16 janvier dernier, emporté par un cancer à l’âge de soixante-et-onze ans. Quant à son frère Donald Kinsey, né le 12 mai 1953 dans la même ville, il vient donc de nous quitter le 6 février, à soixante-dix ans. Et souvenez-vous, il y a tout juste deux ans, le 6 février 2022, Syl Johnson rejoignait l’au-delà, quelques jours après son frère Jimmy Johnson ! Incroyable coïncidence…

Donald Kinsey. © : Larry Eifert.

Les deux frères Kinsey ayant seulement un an d’écart, ils débutent à peu près en même temps avec leur père, Donald à la guitare à quatre ans, et Ralph à la batterie vers cinq ou six ans. Ils vont également régulièrement à l’église où leur grand-père (Lester Kinsey Sr.) est pasteur de la Chase Street Church of God in Christ à Gary. Ce dernier ne veut pas entendre parler du blues mais cette expérience permet à ses petits-fils de découvrir aussi le gospel. Donald, grand fan de B.B. King, progresse très vite, tout comme son frère aux fûts, ce qui fera dire à leur père (article de Steve Krakow du 25 février 2021 pour le Chicago Reader) : « Quand Don avait entre dix et douze ans, il pouvait jouer n’importe quel blues [à la guitare], et le chanter aussi. Et je savais que Ralph deviendrait batteur, car il se servait d’une fourchette et d’un couteau pour taper sur toutes les chaises à sa portée. Ils apprenaient trop vite, ça devait être dans leurs gênes, ils ont attrapé le virus et plus rien ne pouvait les arrêter. »

Ralph Kinsey. © : Profil Facebook de Ralph Kinsey.

À treize ans, Donald commence à se produire avec son père sous le nom de B.B. King Jr. ! Ralph ne tarde pas à les rejoindre au sein d’une formation appelée Big Daddy Kinsey & His Fabulous Sons, qui reste active jusqu’en 1972. Les chemins de Donald et Ralph vont alors se séparer car le second nommé s’engage dans l’armée de l’air, où il restera jusqu’en 1975. De son côté, Donald est pris comme guitariste dans le groupe d’Albert King, qu’il accompagne sur l’album « I Wanna Get Funky » (son nom est orthographié par erreur Donald Kenzie), enregistré en 1972 pour Stax mais qui paraîtra deux ans plus tard. Toujours en 1972, il accompagne King sur un disque en public, « Live at the Fabulous Forum! », qui sera seulement édité en 2015 par Rockbeat. Il est également présent, et cette fois correctement crédité, lors du concert du festival de Montreux le 1er juilet 1973, qui fera l’objet de l’album « Blues at Sunrise », mais que Stax ne sortira qu’en 1988 (voici en extrait Stormy Monday, avec Donald qui prend un solo à partir de 5:00). Il faut toutefois relever que Stax avait sorti dès 1974 l’album « Montreux Festival », avec Chico Hamilton, Little Milton et Albert King, qui comprend trois chansons par King issues du même concert dont deux ne figurent pas sur « Blues at Sunrise » (Don’t make no sense et Call it stormy Monday). Enfin, quatre autres chansons de ce même concert à Montreux sont sur la compilation Stax « Blues at Sunset (Live at Wattstax and Montreux) ».

De gauche à droite : Ralph Kinsey, Jimmy Jones, Donald Kinsey, Ron Prince, Big Daddy Kinsey et Kenneth Kinsey. Syd and Harry’s Restaurant, Oxford, Mississippi, 1986. © : Jim O’Neal / University of Mississippi.

En 1975, Donald et Ralph se retrouvent et forment avec le bassiste Busta « Cherry » Jones, transfuge de la formation d’Albert King, White Lightnin’, un groupe de blues rock qui signe un album la même année chez Island, « White Lightnin’ ». Un changement radical survient alors dans le parcours de Donald Kinsey. Lors d’une réception organisée par Island à New York, il rencontre Bob Marley (dont le label est Island), qui en profite pour lui présenter Peter Tosh ! Dès lors, les événements se précipitent. Donald apparaît sur deux albums studio : « Rastaman Vibration » de Bob Marley (overdubs  à la guitare sur Johnny was et Roots, rock, reggae), sorti en avril 1976 chez Island, puis en juin sur le premier album de Peter Tosh « Legalize It » (Columbia et Virgin), cette fois comme guitariste « titulaire ». Entre les deux, le 26 mai 1976, il est guitariste lead lors du concert de Marley au Roxy à Hollywood, dont Island fera un album en 2003, « Live at the Roxy ». Soulignons que Marley et Tosh s’entourent alors tous deux des Wailers, soit en gros les mêmes musiciens !

Dos du CD « Blues at Sunrise » d’Albert King, avec le personnel dont Donald Kinsey. © : Discogs.

Désormais totalement impliqué dans le reggae, Donald Kinsey tourne autant avec Tosh que Marley et séjourne fréquemment en Jamaïque. Et justement, le 3 décembre 1976, il est présent à Kingston chez Marley quand ce dernier est victime d’un attentat. Kinsey échappe aux balles en se protégeant avec une lourde malle, pendant que Marley est touché au bras. Les deux hommes se produiront toutefois sur scène deux jours plus tard lors du concert Smile Jamaica devant 80 000 personnes… Kinsey continue de travailler avec Peter Tosh (« Equal Rights » en 1977, « Bush Doctor » en 1978 avec Mick Jagger et Keith Richards en invités), mais aussi avec Burning Spear sous le nom de Donald « Roots » Kinsey (« Dry & Heavy » en 1977, « Social Living », également titré « Marcus’ Children », en 1978). Après une tournée en 1978 avec Peter Tosh (en première partie des Rolling Stones), Donald forme avec son frère Ralph Don Kinsey and the Chosen Ones, qui sort deux EP au début des années 1980, dans un registre reggae teinté de funk et de rock.

Bob Marley et Donald Kinsey en 1976. © : Weekend Hippie / Les Temps du Blues.

Après de nouvelles réalisations avec Peter Tosh dont l’album « Mama Africa » en 1983, il fonde l’année suivante Kinsey Report, avec Ralph et leur jeune frère à la basse, Kenneth (né le 21 janvier 1963), mais aussi leur père Big Daddy. On les retrouve d’ailleurs tous en 1985 sur un premier album crédité à Big Daddy Kinsey & the Kinsey Report, réalisé chez Rooster Blues, « Bad Situation ». Mais la situation est loin d’être mauvaise car ils sont remarqués par le label Alligator pour lequel ils sortent deux opus en 1987 et 1989, « Edge of the City » et « Midnight Drive », désormais sans leur père. Deux autres suivent en 1990 et 1993 chez Pointblank, « Powerhouse » et « Crossing Bridges », puis un troisième en 1998 à nouveau chez Alligator, « Smoke and Steel », enfin un ultime EP autopublié en 2013, « Standing I’ll Be). Kinsey Report fait dans un blues rock musclé très moderne et son rôle dans la popularité de ce style à partir des années 1980 doit être souligné.

Kenneth, Donald et Ralph Kinsey. © : Alligator Records.

Quant à Donald Kinsey, sa polyvalence lui valut aussi d’œuvrer dans les années 1980 avec des artistes d’horizons variés, dont la chanteuse de R&B/Soul Betty Wright et le chanteur-guitariste de blues rock Roy Buchanan. En 1990, les trois frères accompagnent leur père (Big Daddy Kinsey and Sons) sur un album chez Blind Pig, « Can’t Let Go », avec également Matthew Scholler (Skoller ?) à l’harmonica et Lucky Peterson aux claviers. Plus récemment, en 2020, Donald est revenu au reggae en participant au disque One World du Wailers Band, qui rassemble les anciens membres du groupe de Bob Marley, « One World ». Le Kinsey Report n’avait plus sorti de disque depuis une dizaine d’années, mais il continuait de se produire et de tourner. On sait donc que Ralph Kinsey est mort d’un cancer. Quant à Donald, malgré une santé déclinante (il apparaissait sur scène avec un appareil d’assistance respiratoire), il se produisait encore l’an dernier, et en particulier le 8 juin 2023 au Chicago Blues Festival dans le cadre de la commémoration du centenaire de la naissance d’Albert King. Ce sera hélas sa dernière apparition, dont je vous propose un extrait en vidéo, Why you so mean to me. Car dès le lendemain, il est victime d’un grave accident de la route, ce qui se traduit par six semaines d’hospitalisation et une longue rééducation. Ce ne sera pas suffisant pour que l’artiste, de toute façon déjà affaibli, parvienne à s’en remettre. Et nous pleurons aujourd’hui deux membres d’une famille qui aura marqué à sa manière le blues de ces quarante dernières années.

Donald Kinsey à Chicago en 2022. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.