En 2016. © : Bobby Goodman.

Après Joey Gilmore hier, je prends le temps de revenir aujourd’hui sur le parcours d’un bluesman récemment disparu, en l’occurrence Carl Weathersby, chanteur-guitariste qui fit les beaux jours du blues de Chicago à partir des années 1980, au sein d’autres formations comme sous son propre nom. Il naît Carlton Weathersby le 24 février 1953 à Jackson, la capitale du Mississippi, mais grandit à Meadville, une petite ville du sud-ouest de l’État, pas très loin de Natchez et donc de la Louisiane. En 1961, les Weathersby s’installe à East Chicago, une ville de l’Indiana mais proche de Chicago. Comme le rappelle Richard Skelly sur le site Allmusic, plusieurs membres de la famille de Carl sont impliqués dans la musique, dont Leonard « Baby Doo » Caston (membre des premiers groupes de Willie Dixon), Leonard Caston, Jr. (fils du précédent, membre des Radiants, auteur de hits pour Motown) et G.C. Cameron (membre des Spinners). En outre, son père connaît bien Albert King…

À Orange en 1993. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.

Carl écoute alors du R&B, de la soul et du blues, en particulier Albert King, son idole de jeunesse. Il apprend la batterie puis la guitare. À onze ou douze ans, il s’exerce sur des chansons dont Crosscut saw, popularisée en 1966 par Albert King. Un jour, son père, qui est mécanicien automobile, rentre avec un ami alors que son fils essaie justement de jouer Crosscut saw. Les deux hommes s’approchent et l’ami de son père lui explique comment jouer le morceau. Il est bien placé pour le faire car il s’agit d’Albert King ! Une expérience unique pour le musicien en herbe, d’autant qu’Albert ne manquera pas de lui donner des conseils lors d’autres visites. Parallèlement, les Weathersby continuent de passer leurs étés dans le Mississippi, où son cousin Leonard « Baby Doo » Caston lui propose de passer une audition pour Motown.

© : Discogs.

Mais les obligations militaires l’attendent et l’en empêchent, comme il le relatait le 15 septembre 2017 à Bill Dahl pour Blues Blast Magazine: « Je lui ai dit : « Eh bien, je ne pourrai pas y aller car je pars à l’armée. » J’ai donc manqué ça.» De fait, à partir de 1971, il sert un an au Vietnam mais reste dans l’armée jusqu’en 1977. Il travaille ensuite comme gardien dans un pénitencier en Louisiane puis dans une aciérie, qu’il doit toutefois quitter brutalement : « C’était un travail bien payé. Mais après avoir quitté l’usine un soir, quand je suis revenu le lendemain matin, elle était fermée. » Ce qui le pousse à donner plus de place à la musique. Albert King ne l’a pas oublié et l’engage comme guitariste rythmique sur ses tournées de 1979 à 1982, ce qui lui permet de se faire connaître dans le milieu du blues.

Avec Brooker Benton en 1985. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.

Toujours en 1982, encouragé par un cousin qui joue pour Little Milton, il se rend à Chicago et rencontre le chanteur-harmoniciste Billy Branch, leader depuis quatre ans des Sons of Blues, qui comptèrent effectivement en leur sein des fils de grands bluesmen, Lurrie Bell (fils de Carey) et Freddie Dixon (fils de Willie). Weathersby est progressivement intégré et finit par remplacer à plein temps Carlos Johnson en 1985. Le nom de Carlton Weathersby apparaît pour la première fois sur disque la même année, quand sort l’album des Sons of Blues/Chi-Town Hustlers, « Romancing the Blue Stone » (Blue Phoenix). La « pige » se prolonge durant près de quinze ans et révèle tout le talent de Weathersby. À la guitare bien sûr avec un phrasé et un toucher caractéristique, mais laissons-le l’expliquer lui-même (Blues Blast) : « J’ai longtemps joué avec des médiators. Puis je me suis soudainement retrouvé dans le groupe de Billy Branch. Il voulait surtout que je joue deux lignes à la fois. Il lui fallait la force de la basse mais aussi des accords. Et pour obtenir ce résultat, il faut utiliser deux doigts, parfois trois, et le pouce. Un médiator n’a plus sa place. »

© : Blues Blast Magazine.

Je n’omets pas de préciser combien Weathersby est également un beau chanteur à la voix d’airain qui prendra du grain au fil du temps. Logiquement, ses qualités attirent l’attention et lui valent de sortir en 1996 un premier album sous son nom chez Evidence, « Don’t Lay Your Blues on Me ». Il en réalisera neuf au total jusqu’en 2019, puis sa santé commencera à décliner. Outre le premier déjà cité, mes préférés sont « Looking out My Window » (Evidence, 1997), « Come to Papa » (Evidence, 2000) et « Live at Rosa’s Lounge » (Bearpath, 2019). Il a fait l’objet d’une interview dans le numéro 228 de Soul Bag. Mais Weathersby s’est également distingué comme accompagnateur brillant de nombreux artistes/groupes de Chicago. Il est impossible de lister toutes ces collaborations, mais je pense à Bob Corritore, Billy Branch (avec ou sans les Sons of Blues), Buster Benton, Hubert Sumlin, Carey Bell, Mississippi Heat, Rico McFarland, Trudy Lynn, Nora Jean Bruso, Little Milton, John Primer… Des années 1980 à 2000, Carl Weathersby fit partie des guitaristes les plus demandés à Chicago, scène exigeante s’il en est… Il nous a donc quittés ce 9 août 2024 à l’âge de soixante et onze ans suite à des problèmes rénaux.

© : Discogs.

Comme hier pour Joey Gilmore, je vous propose dix chansons en écoute.
I haven’t been too long en 1985 avec les Sons of Blues. Premier morceau sur lequel Weathersby chante et joue de la guitare sur disque.
Tin Pan Alley en 1992 avec les Sons of Blues.
Should have known better en 1995 avec les Sons of Blues.
Lonesome stranger en 1995 avec Carey Bell.
Somebody help me en 1996.
Hipshakin’ woman en 1997.
Dog in my back yard en 1999 avec Mississippi Heat.
(I feel like) breakin’ up somebody’s home en 2000.
I love the life I live en 2010.
Danger all about en 2019.

Au Chicago Blues Festival en 2023. © : Michael Lepek.