La carrière discographique de Sugar Pie DeSanto, dans un registre assez étendu (R&B, soul, soul blues et blues) nous ramène d’abord aux années 1950 et 1960, ses enregistrements se faisant ensuite plus sporadiques. Mais cette chanteuse, danseuse, compositrice et productrice, qui n’a pas annoncé sa retraite et fêtera ses quatre-vingt-dix ans l’an prochain, reste bien présente de nos jours dans les esprits. L’artiste le doit sans doute un peu à son jeu de scène exubérant, mais pas seulement. Elle naît Peylia Marcema (1) Balinton le 16 octobre 1935 à Brooklyn, New York, d’une mère afro-américaine, Alice Coates, et d’un père philippin, Ygnacio Balinton. Elle ne reste pas longtemps à New York car sa famille s’installe dans les années 1930 (entre 1937 et 1939 selon les sources) complètement à l’opposé, à San Francisco en Californie.
Son père est marin, mais elle vient à la musique par sa mère qui est pianiste, comme elle s’en explique dans une interview de Bill Dahl publiée le 17 août 2018 par Blues Blast Magazine : « Maman m’a appris la musique. Ma mère était pianiste classique, elle jouait déjà quand j’étais une toute petite fille. Elle était monstrueuse. Tout ce qu’elle jouait, il lui suffisait de l’entendre une fois pour le reprendre intégralement sans erreur. À l’époque, on ne faisait pas de blues. Je n’ai pas grandi avec ça mais avec des classiques comme des chansons de Frank Sinatra, des choses dans ce genre. » Peylia apprend aussi à chanter avec sa mère, et en grandissant, elle écoute chez les parents de ses ami(e)s, dont certains sont originaires du Deep South, de la soul mais aussi des artistes de blues (dont B.B. King et Little Willie Littlefield) sans vraiment savoir ce que c’est…
Elle fréquente aussi une voisine qui est sa cadette de trois ans, Jamesetta Hawkins, qui ne se fait pas encore appeler Etta James : « On a grandi ensemble. Elle était proche de ma sœur car elles étaient plus jeunes que moi. Mais nous chantions et sortions toutes ensemble. (…) On avait un groupe dans le quartier de Fillmore. Puis ma sœur l’a suivie pour devenir une des Peaches. » (2). De son côté, Peylia commence à se distinguer avec sa voix très puissante et déjà grainée pour une adolescente, mais aussi pour ses talents de danseuse et son sens de la scène. La jeune artiste a notamment besoin de cela pour se faire remarquer du fait de sa petite taille, elle culminera en effet à 1,50 m une fois adulte.
En 1955, elle participe à un concours de talents à l’Ellis Theater à San Francisco, auquel assiste Johnny Otis. Comme il l’avait fait trois ans plus tôt avec Etta James, Otis lui met le pied à l’étrier en lui permettant d’enregistrer un premier single pour Federal sous le nom de Preston Love and his Orchestra with Sugar Pie (Boom diddy wa wa baby/A man goin’ crazy). Une expérience qu’elle relatait ainsi selon le site Central Florida Public Media dans un article du 3 mai 2024 : « J’étais si petite. Le micro était aussi gros que ma tête, je ne pouvais pas l’atteindre car j’étais trop petite. Alors on a mis des caisses de Coca-Cola pour que je puisse l’atteindre et enregistrer. C’était drôle. Johnny a dit que ça lui plaisait mais qu’on ne pouvait pas sortir ça avec mon prénom de naissance, Peylia. Il a dit « bien, tu es si petite, je crois que je vais t’appeler Sugar Pie. » Il m’a donné ce nom. »
Après s’être produite avec Otis et une petite vingtaine de faces (pour Federal puis Jody, Aladdin, Rhythm et Music City), elle tourne avec James Brown en 1959 et 1960. Toujours en 1960, elle obtient un beau succès chez Veltone avec I want to know, qu’elle a coécrit avec Bob Geddins, qui se hisse à la quatrième place des charts R&B de Billboard. Elle se fixe ensuite à Chicago et signe un contrat pour Checker (un album sort en 1961, « Sugar Pie »), la filiale de Chess, bien sûr comme chanteuse mais aussi comme compositrice, un domaine dans lequel elle excelle. Mais elle impressionne surtout comme vocaliste sur des chansons comme Slip-in mules (No high heel sneakers) et Soulful dress. En 1964, elle prend part à la tournée de l’American Folk Blues Festival, durant laquelle elle sidère les audiences européennes, entourée de Willie Dixon à la contrebasse, Hubert Sumlin à la guitare, Sunnyland Slim au piano et Clifton James à la batterie ! En 1965 puis 1966, ses duos avec Etta James, I make myself clear et In the basement, marquent également les esprits.
Quelques faces pour Argo et Cadet, autres filiales de Chess, ne rencontrent pas le même succès, tout comme celles réalisées pour Brunswick et Soul Clock à la fin des années 1960. DeSanto retourne en Californie (à Oakland), donne plus de place à l’écriture mais aussi à la production en travaillant avec Jim Moore Sr. du label Jasman. Entre 1984 et 2005, elle sort cinq albums pour cette marque. Les deux compilations « Go Go Power: The Complete Chess Singles 1961–1966 » (Kent) et « A Little Bit of Soul 1957–1962 » (Jasmine) rendent bien compte de son œuvre quand elle était au faîte de sa popularité. Plus près de nous, la chanteuse n’a pas été épargnée par le sort. En 2006, elle perd son mari dans l’incendie de leur appartement, et en 2018, un cancer de la gorge marque un sérieux coup d’arrêt. Elle s’en remet, reprend sa carrière à son âge pourtant avancé et enregistre la même année chez Jasman un EP, « Sugar’s Suite » ! Mais en 2023, au programme du Chicago Blues Festival, elle annule pour raisons de santé. Et les photos prises lors du dernier Fillmore Jazz Festival à San Francisco (6 et 7 juillet 2024), qui la montrent en fauteuil roulant et sous assistance respiratoire, n’incitent pas à l’optimisme. Mais Sugar Pie DeSanto, « petit bout de bonne femme », est bien une grande chanteuse qui mérite tout notre respect.
– Boom diddy wa wa baby en 1955 par Preston Love and his Orchestra with Sugar Pie.
– I want to know en 1960.
– Rock me baby en 1964.
– Slip-in mules (No high heel sneakers) en 1964.
– In the basement en 1966 avec Etta James.
– Black rat en 2005.
– Live at Porretta Soul Festival en 2007.
– Live at Porretta Soul Festival en 2011.
– Soulful dress en 2012.
– Chocolate City en 2018.
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