Pour 2024, je vous propose deux listes des dix albums et des cinq livres qui ont selon moi marqué cette année, et début 2025, je publierai mes Top 10 et Top 5 dans les deux catégories. Le neuvième sur ma liste de disques est « The Hits Keep Coming » par Rick Estrin & The Nightcats chez Alligator. On connaît bien les membres de la formation de base, à savoir Rick Estrin (chant, harmonica), Kid Andersen (guitare, basse, production…), Lorenzo Farrell (claviers, basse) et Derrick D’mar Martin (batterie, percussions). Un ensemble émérite agrémenté d’invités bien choisis avec Jerry Jemmott (basse), Quique Gomez (percussions), mais aussi de chœurs qui enrichissent notablement les arrangements et les harmonies tout au long de l’album : The Sons Of The Soul Revivers (James, Walter et Dwayne Morgan), Lisa Leuschner Andersen, Charlie Musselwhite, Marty Dodson, Bob Welsh et Boopsy Callinz. Avec dix compositions sur douze (co-)signées par Estrin, ce groupe nous propose une fois de plus un disque de blues contemporain de haut niveau, exemplaire et très abouti.
Pour ouvrir, Somewhere else est l’entrée en matière idéale : un titre à la fois rentre-dedans mais également funky qui reflète l’état d’esprit soudé des intervenants, avec un gros harmonica chromatique (une constante sur le disque !) et une guitare piquante mais sans démonstration. Avec Estrin, il importe de rester attentif aux paroles, jamais anodines. Même si je n’ai pas la place ici de « décortiquer » chaque chanson, c’est évident dès la deuxième plage, en l’occurrence la chanson-titre et son mantra enivrant et troublant : « Les coups continuent de pleuvoir et c’est encore une année de galère / J’essaie de dormir en gardant un œil ouvert, je ne quitte jamais mes chaussures de running. » Et le morceau suivant, The circus is still in town (The monkey song), au-delà de son titre que l’on pourrait croire humoristique, révèle un double sens douloureux. Derrière les paroles qui disent « un singe allait et venait dans mon dos, maintenant le singe est parti mais c’est toujours le cirque en ville », il faut entendre les difficultés à se débarrasser de ses addictions. Toujours plutôt sombre et sur un tempo lent, Time for me to go est une réflexion sur une vision de la vie avec du recul et en relativisant. L’humour d’Estrin est donc souvent désabusé, voire grinçant, et sa voix sarcastique qui flirte parfois avec la scansion colle toujours très bien à son propos…
Ceci dit, la variété doit également être soulignée, aucun morceau ne ressemble à un autre, pourtant on ne perd jamais le fil. Même les deux reprises bénéficient d’un traitement original. Entre folk et jazz, rehaussée de chœurs, la lecture semi-acoustique du Everybody knows de Leonard Cohen est superbe. Quant au Diamonds at your feet de Muddy Waters, qui n’est d’ailleurs pas son titre le plus connu, il trouve de l’originalité grâce à ce qu’il faut de Jump Blues et encore son harmonica chromatique. Le blues lent I finally hit the bottom est plus optimiste que les premières chansons (autour de l’idée « J’avais touché le fond mais je remonte la pente »), et l’interaction entre guitare, harmonica et orgue est juste admirable, 911 est amusant et percutant (appelez le 911, la police !), et l’instrumental Sack o’ Kools permet à tout le groupe d’exprimer son savoir-faire. Soulignons aussi deux hommages très réussis, I ain’t worried about nothin’ en l’honneur de Sonny Boy Williamson II dans une ambiance très années 1950 (écoutez seulement la guitare à la T-Bone !) et Learn to lose, qui explore le West Side à la Otis Rush avec un chromatique monstrueux et des textes toujours évocateurs (« On doit tous apprendre à perdre, souviens-toi d’où tu viens quand tu gagnes »). En clôture, Whatever happened to Dobie Strange? Est un retour amusant dans le passé en se souvenant de Dobie Strange (batteur des Nightcats jusqu’en 1996), sorte de talking blues teinté de hip-hop, avec harmonies vocales et chœurs scandés. Cet album est un pur moment intense de plaisir. Il se commande à cette adresse et je vous propose trois extraits en écoute, The hits keep coming, I finally hit the bottom et Learn to lose.
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