Pour 2024, je vous propose deux listes des dix albums et des cinq livres qui ont selon moi marqué cette année, et début 2025, je publierai mes Top 10 et Top 5 dans les deux catégories. Le dixième sur ma liste de disques est « Médikamen » par Corey Ledet Zydeco chez Nouveau Electric (en 2023 mais il n’a été vraiment largement diffusé que cette année). Dans un article du 22 janvier 2019 (et dans mon émission correspondante…), je m’arrêtais sur l’album « Accordion Dragon » de Corey Ledet. Malgré son jeune âge (il est né en 1981), il ne s’agissait pas d’un débutant déjà auteur d’une dizaine d’albums. Mais le chanteur-accordéoniste originaire du Texas installé en Louisiane s’exprimait alors essentiellement en anglais. Aujourd’hui et pour la première fois, sur son dernier album « Médikamen », il chante exclusivement en kouri-vini, le créole louisianais à base lexicale française. Ses accompagnateurs sont Julian Primeaux (guitare), Germaine Jack (frottoir), Lee Allen Zeno (basse), Jean-Paul Jolivette (batterie), auxquels s’ajoutent quelques invités de valeur : Anders Osborne (guitare), Grant Dermody (harmonica) et Kermit Ruffins (trompette).
L’entame (Alon kouri laba) s’inscrit dans la plus pure tradition du zydeco avec un élan irrésistible de tous les intervenants, sensation que l’on retrouve sur Mo konten to yê pou mò et Two-step a Ben Guiné qui ferme le disque en beauté. On se lève tout aussi volontiers sur des titres également très enlevés qui flirtent avec le rock en intégrant des sonorités plus actuelles, comme Mo gin in ta lamou et Swiv-mò, alors que Médikamen (avec la trompette de Kermit Ruffins) et Pendan Koronaj invitent à la fête. Les acteurs n’oublient pas d’autres aspects traditionnels avec des ballades louisianaises du plus bel effet sublimées par l’instrumentation particulière du zydeco (accordéon et orgue en phase), bien représentées par Gònn lamézon démin et la valse Lavals a Séléstinn.
Ils s’aventurent aussi sur les chemins du blues, d’abord avec Vayan Fenm et sa guitare audacieuse qui apporte de la modernité. Sur M’apé gònn a Dauphine, Ledet annonce la couleur (« On va jouer le blues… ») et ça fait mal : l’esprit de Clifton Chenier renaît, la guitare, pour une fois en avant, l’accordéon puis l’harmonica se fondent avec une densité rare. Il y a enfin Kofè t’fé ça dont on ne sort pas intact : l’accordéon convoque les pionniers comme Amédé Ardoin en plus lancinant, pendant que la guitare d’Osborne rôde puis riposte pour générer le blues le plus profond, le plus hanté du bayou. En tant que résident antillais, en écoutant cet album intitulé « Médikamen », je ne peux m’empêcher de penser à l’hymne du groupe Kassav’, Zouk la sé sèl médikaman nou ni, « Le zouk est notre seul médicament ». Zydeco et zouk et commencent par la même lettre mais ce n’est pas leur seul point commun. Leurs interprètes chantent en créole. Leur musique a les mêmes origines populaires et transmet le même message cathartique de partage et de ferveur. Le disque de Corey Ledet n’est pas seulement remarquable en soi, il consolide les ponts entre les traditions. Il se commande à cette adresse et je vous propose trois extraits en écoute, Gònn lamézon démin, M’apé gònn a Dauphine et Kofè t’fé ça. Ma liste de dix disques est donc désormais complète. Comme pour les livres, rendez-vous début 2025 pour le Top 10 avec le classement.
Les derniers commentaires