© : John Clore.

Les premiers enregistrements de spirituals, et donc de musique populaire afro-américaine, datent de 1890 avec le Unique Quartette, mais il faudra attendre les premiers disques de jazz (1917) et de blues (1920) pour que l’industrie discographique se développe de façon spectaculaire. En ces temps de ségrégation très marquée, mais parfaitement conscients du marché que représentent les artistes afro-américains, les labels s’empressent de créer des séries de disques qui leur sont à la fois réservées et bien entendu spécialement destinées au public noir. Ce sont les race records, les « disques de race », qui perdureront jusqu’en 1949, quand la revue Billboard remplacera cette désignation raciste par Rhythm and Blues Records pour ses célèbres classements des meilleures ventes hebdomadaires (charts).

© : New York 1920s.

S’il est impossible d’établir le jour exact du tout premier enregistrement d’un disque « estampillé » race record, on sait que nous le devons en janvier 1922 au label OKeh dans le cadre de sa série 8000 créée l’année précédente. Columbia avait fait de même, également en 1921, avec sa série 14000. Mais la première mention connue apparaît donc en janvier 1922 dans une publicité du label OKeh publiée par le Chicago Defender, en ces termes : « Ask your neighborhood dealer for a complete list of OKeh race records » (« Demandez à votre revendeur local la liste complète des race records OKeh »). Paramount et toutes les autres marques de l’époque emprunteront alors sans attendre les traces d’OKeh.

© : Bluegrass Today.

Toutefois, le véritable acte de naissance des race records suit sans doute la sortie du premier disque de blues de l’histoire, le single Crazy blues/It’s right here for you par Mamie Smith le 10 août 1920, déjà chez OKeh… Le label envoie son producteur et talent scout (découvreur de talents) Ralph Peer (1892-1960) dans le Sud Profond, où le disque se vend très bien. Dans sa biographie consacrée à Peer, Ralph Peer and the Making of Popular Roots Music (Chicago Review Press, 2014), Barry Mazor relate : « Juste après l’enregistrement du premier disque de Mamie Smith, les porteurs noirs qui prenaient les trains vers le sud quittaient New York en emportant systématiquement environ vingt-cinq exemplaires (…). Peer, parti enquêter sur place, s’aperçut d’abord que les Noirs achetaient de grandes quantités de disques par des artistes de leur communauté, et que ceux de Richmond, Virginie, avaient l’habitude de la qualifier de « The Race ». »

© : Wikimedia Commons.

Je l’ai déjà souvent évoqué ici, tous les pionniers du blues (mais aussi du gospel et du jazz) des années 1920 et 1930 réaliseront ensuite leurs disques sous cette « bannière » des race records. Si vous souhaitez approfondir le sujet, outre l’ouvrage cité plus haut, je vous recommande la lecture de Songsters and Saints: Vocal Traditions on Race Records par Paul Oliver (Cambridge University Press, 1984). Parallèlement à ce livre, Oliver a supervisé la sortie d’une anthologie en deux volumes, qui porte le même nom et compte soixante-douze chansons interprétées à l’époque des race records par des artistes de blues, de gospel, de sacred blues, de songsters… En voici six extraits en écoute.
Turkey buzzard blues en 1928 par Peg Leg Howell & Eddie Anthony.
Silk worms and boll weevils en 1929 par Rev. J.M. Milton.
When I take my vacation in heaven en 1930 par Mother McCollum.
Long gone lost John en 1928 par Papa Charlie Jackson.
Cocaine blues en 1927 par Luke Jordan.
The latter rain is fall en 1929 par Elders McIntosh and Edwards.

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