© : Blue eye / Gérard Herzhaft.

Le 19 mars dernier, Gérard Herzhaft a consacré sur son blog « Blue eye » un article à Gus Jenkins, avec une biographie de l’artiste accompagnée de l’intégrale téléchargeable de ses enregistrements, « Complete Recordings ». Cela m’a naturellement donné l’idée de m’arrêter sur le parcours de ce chanteur-pianiste de blues et de R&B, qui aurait eu quatre-vingt-quatorze ans aujourd’hui et auteur de presque tous ses enregistrements à Los Angeles (de 1953 à 1968). Né Augustus D. « Gus » Jenkins le 24 mars 1931 à Birmingham, Alabama, il apprend le piano auprès de sa mère Minnie Kate née Forbes, puis en écoutant les disques de l’école des pianistes de Blues de Saint-Louis, Missouri, en premier lieu Walter Davis. Jenkins fait ensuite partie de la Sammy Green’s Hot Harlem Review, une troupe itinérante d’Atlanta, Géorgie, qui vit aussi débuter Big Mama Thornton.

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Outre la revue, le pianiste se produit également dans les clubs en Californie, où il côtoie justement Big Mama mais aussi Percy Mayfield, et s’impose également en chanteur d’une rare puissance. Mais il fait un détour par Chicago à la fin des années 1940, où il fréquente les bluesmen de la Windy City, ce qui permet aussi de se faire remarquer par les responsables de Chess. Et c’est bien dans les studios de ce label qu’il enregistre sa première chanson le 9 janvier 1953, Eight ball, avec Big Walter Horton, avec Big Walter Horton à l’harmonica et Willie Nix à la batterie. Le même jour et au même endroit, Jenkins joue du piano pour Honeyboy Edwards (voc, g), avec peut-être encore Nix aux fûts, sur quatre faces supplémentaires, mais une seule sera éditée en 1970.

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De retour dans la région de Los Angeles qu’il ne quittera plus, Jenkins doit s’émanciper de l’influence de Walter Davis, d’autant que d’autres genres musicaux commencent à supplanter le blues, comme le R&B et le rock ‘n’ roll. Son registre va donc se diversifier et s’étendre avec des ingrédients issus du West Coast Blues d’un Charles Brown, du Jump Blues des frères Jimmy et Joe Liggins, de l’éclectisme de figures comme Jimmy McCracklin et Jimmy Otis, avec lequel il travaille un peu. Ses faces suivantes sont gravées pour Specialty, un des labels les plus importants de l’époque à Los Angeles, fondé par Art Rupe en 1945 ou 1946. Il obtient toutefois son premier succès notable pour une marque bien plus modeste, Flash, avec l’instrumental Tricky en 1956 en tant que Gus Jinkins, qui se hisse à la deuxième place des charts R&B.

Mamie Perry, l’épouse de Jenkins. © : Blue eye / Gérard Herzhaft.

Mais le parcours artistique de Gus Jenkins devient difficile à suivre, avec à la fois des enregistrements pour divers labels (Combo, Flash, Cash) et sous d’autres pseudonymes comme The Young Woolf, Little Temple et Piano Bo, sans compter quelques faces avec sa femme Mamie Ree/Mamie Perry. Dès lors, pour s’y retrouver, l’intégrale récemment rassemblée par Gérard Herzhaft (voir références plus haut) s’avère particulièrement précieuse : elle comprend en effet les cinquante-sept morceaux réalisés par l’artiste entre 1953 et 1968, avec les personnels, les dates et les lieux. En 1959, Jenkins fonde son propre label, Pioneer International, mais il peine à signer des hits comparables à Tricky, même si un autre instrumental, Chittlins, sorti chez Tower, une filiale de Capitol, se vend bien en 1964 (n° 27 des charts Soul). À la fin des années 1960, il délaisse la musique, se convertit à l’islam en 1970 et prend le nom de Jaarone Pharoah. Il reste actif localement dans les clubs mais vit surtout de son entreprise d’encadrement de tableaux et photos. Gus Jenkins nous a quittés le 22 décembre 1985 à seulement cinquante-quatre ans, pour des raisons inconnues. Variée et consistante, l’œuvre de cet artiste talentueux mérite d’être réhabilitée.

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Voici maintenant huit chansons en écoute.
Eight ball en 1953, son premier titre avec donc Big Walter Horton à l’harmonica.
Worries and troubles en 1953 sous le nom de The Young Woolf.
What a mistake en 1955 sous le nom de Little Temple.
Tricky en 1956 sous le nom de Gus Jinkins.
Pay day shuffle parts 1 & 2 en 1957.
Gonna take time en 1959, et non en 1962 comme mentionné sur YouTube.
Chittlins en 1964.
Going down yonder? en 1967.

© : Big Road Blues.