© : TeePublic.

Blue Goose a été lancé en 1970 par Nick Perls, déjà fondateur trois ans plus tôt de Yazoo Records, un des plus importants labels dédiés au Country Blues originel (mais je reviendrai bien entendu ultérieurement sur Yazoo dans un article spécifique). Alors que Yazoo se spécialisa dans les rééditions des principaux pionniers du blues des années 1920 et 1930, Blue Goose sortit entre 1970 et 1980 une petite cinquantaine d’albums dont certains portaient sur des bluesmen découverts ou redécouverts durant le Blues Revival (souvent enregistrés et/ou produits par Perls lui-même), plus quelques autres qui lancèrent ainsi leur carrière, enfin des interprètes de blues blanc américains et britanniques. Personnage quelque peu excentrique comme nous allons le voir, Perls faisait également partie du groupe de passionnés qui redécouvrit Son House en 1964.

Nick Perls, Dick Waterman, Son House et Phil Spiro lors de la redécouverte du bluesman en 1964. © : University of Massachusetts Press.

Joseph Nicholas « Nick » Perls naît le 4 avril 1942 à New York et grandit à Brooklyn. Son père est Klaus Gunther Perls, un Allemand qui fuit le nazisme au début des années 1930, vit à Bâle en Suisse et à Paris avant de s’installer en 1935 à New York, où il ouvre (à l’instar de son propre père à Berlin) une galerie d’art qui porte son nom. Développée avec sa femme Anna Blumenthal, originaire de Philadelphie, Pennsylvanie, la galerie Perls deviendra une des plus prestigieuses de New York. Dès lors, Nick Perls grandit dans un contexte familial qui le met à l’abri du besoin, et s’intéresse à une autre forme d’art, la musique. Il joue un peu de guitare, mais il se contente d’imiter les fondateurs des différents styles de blues rural (il jouera sur une seule chanson de Larry Johnson en 1970, My game blues), Delta Blues, Texas Blues, Piedmont Blues, Memphis Blues…

Pochette du premier album sorti par Blue Goose en 1970 (Larry Johnson). © : Stefan Wirz.

Très vite, disposant de gros moyens, Perls collectionne les 78-tours de l’époque des pionniers, ce qui le conduira à dépenser jusqu’à 20 000 dollars en une fois pour acquérir une collection ! Parallèlement, en plein Blues Revival, accompagné de Dick Waterman et Philip Spiro, il part dans le Mississippi en quête de bluesmen qui avaient enregistré avant la Seconde Guerre mondiale avant de disparaître des radars, et plus particulièrement Son House. Ils ignorent que ce dernier vit non loin de New York, à Rochester où ils finissent par le trouver le 23 juin 1964, et qui pourra ainsi mener la seconde carrière que l’on sait, parcours que je relate dans le numéro 246 de Soul Bag. Trois ans plus tard, grâce à un équipement alors à la pointe, Perls réalise chez lui des albums à partir des 78-tours originaux et crée un premier label, Belzona, d’après la ville de Belzoni, Mississippi. Mais un label écossais appelé Beltona existe depuis 1923, et en 1968, Belzona change de nom et devient Yazoo, sujet d’une autre histoire, donc…

Nick Perls (à droite) remet un chèque à Sam Chatmon. © : Courtesy Bob Groom / Stefan Wirz.

En 1970, Nick Perls fonde Blue Goose, avec une démarche à l’opposé de Yazoo. Cette fois, il n’est plus question de rééditions, mais bien d’enregistrer des bluesmen en vie et en activité. Là encore, il fait presque tout lui-même, les enregistrements (avec toutefois l’aide ponctuelle d’autres acteurs de la mouvance folk blues comme John Fahey et Stefan Grossman), la production, les photos des pochettes… Pour les notes, il fait souvent appel à Stephen Calt, auteur plus tard de livres notables : King of the Delta Blues: The Life and Music of Charlie Patton (Rock Chapel Press, 1988), I’d Rather Be the Devil: Skip James and the Blues (Da Capo Press, 1994) et Barrelhouse Words: A Blues Dialect Dictionary (University of Illinois Press, 2009). Le label inaugure son catalogue avec « Fast and Funky » par l’excellent chanteur guitariste Larry Johnson, originaire de Géorgie, mais qui fit l’essentiel de sa carrière à New York.

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Les autres bluesmen afro-américains auteurs d’albums chez Blue Goose sont Bill Williams, Sam Chatmon, Tom Shaw, Yank Rachell, Shirley Griffith et Son House. Mais le label s’ouvre aussi à des artistes de blues blanc, de piano ragtime voire de jazz, certains très connus et d’autres beaucoup moins : Graham Hine, Roger Hubbard, John Miller, Jo Ann Kelly, Alan Seidler, Steve Calt, Dave Mann, Roy Bookbinder, Fats Kaplin, Rory Block, Dave Jasen, Roy Smeck… Citons aussi les trois albums de la série « R. Crumb and His Cheap Suit Serenaders », le groupe de Robert Crumb (avec Bob Brozmann sur le troisième) qui se charge bien sûr d’illustrer les pochettes… Cet éclectisme fait de Blue Goose un label intéressant et surtout original, tout comme l’était d’ailleurs son géniteur. Car Perls, qui fréquentait le monde interlope new-yorkais, était anticonformiste et provocateur. Il aimait porter des tenues extravagantes (avec par exemple des chaussettes de couleurs différentes !), se vantait de collectionner les aventures sans lendemain et revendiquait son homosexualité à sa manière, en se qualifiant de faggot, un terme argotique très vulgaire pour désigner un homosexuel. Nick Perls est mort du sida le 22 juillet 1982, à quarante-cinq ans.

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Entre-temps, Blue Goose avait sorti son dernier album en 1980, « Wizard of the Strings », œuvre de Roy Smeck, multi-instrumentiste (guitare, banjo, ukulélé…) actif depuis le début des années 1920. Une bonne partie du catalogue sera rééditée au début des années 2000 par le label japonais Air Mail Recordings. Voici maintenant dix extraits en écoute dans l’ordre chronologique de parution, avec des chansons (les dates mentionnées sont celles des enregistrements, les disques sont parfois sortis plus tard) et des albums en intégralité.
My game blues en 1970 par Larry Johnson. Avec la seule apparition sur disque de Perls, à la seconde guitare.
Crazy with the Blues en 1968 ou 1969 par Graham Hine.
Low and lonesome en 1970 par Bill Williams.
Go back old devil en 1966 par Sam Chatmon.
Prowling ground hog en 1969 ou 1970 par Thomas Shaw.
Jo’s mistreated blues en 1972 par Jo Ann Kelly.
« Yank Rachell » en 1973, album complet.
« The Real Delta Blues », début des années 1960, par Son House, album complet.
Pedal your blues away en 1978 par R. Crumb and His Cheap Suit Serenaders.
Ain’t she sweet en 1980 par Roy Smeck.

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