Le 25 décembre 2019 à Looxahoma, Mississippi. © : John Shaw.

J’aurais aimé l’évoquer plus tôt, mais étrangement, l’information est visiblement restée quelque peu confidentielle (la seule date dont j’ai eu vent en amont est celle du 5 avril, soit hier, dans le cadre du Salaise Blues Festival) : David Evans est en tournée en France depuis le 3 avril, et il se produira en bien d’autres lieux jusqu’au 20 avril 2025. Il est inutile de présenter ce personnage important qui a beaucoup œuvré (et continue de le faire !) en faveur du blues à différents niveaux, et je me contenterai de quelques repères dans sa longue et riche carrière. Né le 22 janvier 1944 à Boston, Massachusetts, David a étudié la musicologie et l’anthropologie dans des universités prestigieuses, à Harvard dans sa ville natale, à UCLA à Los Angeles et à Memphis où il enseigne comme professeur et vit depuis la fin des années 1970. Historien-chercheur, il a mené des campagnes d’enregistrements de terrain (field recordings) dès les années 1960 dans le Deep South.

Le 24 janvier 2025 au Trezevant Performing Arts Center à Memphis. © : Bob Bayne.

Auteur de travaux essentiels dans le domaine de la préservation du Country Blues, il a créé en 1979 son propre label High Water Records, ce qui lui a permis d’enregistrer des artistes qui grâce à lui accéderont à une reconnaissance internationale, aux côtés d’autres moins connus qui sans lui seraient sans doute restés dans l’anonymat. Citons seulement Jessie Mae Hemphill, R.L. Burnside, Ranie Burnette, The Fieldstones, Hammie Nixon, Junior Kimbrough, Little Applewhite, The Blues Busters, Chicago Bob, Hezekiah and The House Rockers, ainsi que des formations de gospel que je ne peux lister ici. Ses enregistrements n’ont pas tous fait l’objet de disques, mais fin 2024, en collaboration avec Dust-to-Digital, il a entrepris d’éditer en albums numériques ses archives inédites (mon article du 3 mars 2025), en commençant par le chanteur-guitariste Babe Stovall avec « Pied Piper of New Orleans », premier d’une série qui devrait compter au moins quarante volumes !

David Evans, Candice Ivory et Jimmy « Duck » Holmes, 14 décembre 2024. © : Candice Ivory.

David a également rédigé de nombreuses notes de pochettes et de livrets d’albums pour d’autres labels, ce qui lui vaudra deux Grammy Awards ! Il obtient le premier pour ses notes de « Screamin’ and Hollerin’ the Blues: The Worlds of Charley Patton » (Revenant), un coffret de sept CD avec toutes les faces de Patton, d’autres sur lesquelles il intervient comme accompagnateur, des enregistrements d’artistes qui l’ont côtoyé, des interviews de certains de ses contemporains… Cet impressionnant ensemble a d’ailleurs gagné deux autres Grammys dans les catégories « Best Historical Album » et « Best Boxed or Special Limited Edition Package ». Plus près de nous, David a reçu en 2019 un Grammy Award pour son texte dans « Voices of Mississippi – Artists and Musicians Documented by William Ferris » (Dust-to-Digital), autre coffret « colossal » (3 CD, 7 films et un livre de 120 pages !), en fait une rétrospective des travaux de collecte d’un autre fameux musicologue, William « Bill » Ferris, sur laquelle je m’arrête dans cette émission sur ma chaîne YouTube. David, intronisé en 2023 au Blues Hall of Fame, est donc aussi un homme d’écrits et auteur de livres référents dont Tommy Johnson (Studio Vista, 1971), Big Road Blues: Tradition and Creativity in the Folk Blues (University of California Press, 1982) et Going Up the Country: Adventures in Blues Fieldwork in the 1960s avec Marina Bokelman (University of Mississippi Press, 2022), dont vous pouvez lire plus bas ma chronique publiée à l’origine dans le numéro 250 de Soul Bag.

Le 28 juin 2024 au Liverpool Philharmonic. © : Son Jack Jr.

Le « CV » de David Evans est édifiant, mais en plus de toutes ces activités, il trouve encore le moyen de mener une carrière musicale brillante comme chanteur-guitariste de blues (et joueur de kazoo dans son Last Chance Jug Band)… Il fut même un pionnier du blues blanc moderne en débutant en 1962 avec Alan Wilson, un des membres fondateurs de Canned Heat en 1965, avant de signer plusieurs albums de qualité sous son nom. Vous l’aurez compris, c’est une figure centrale du blues de notre époque et il ne faut évidemment pas le manquer. Ses conférences musicales sont toujours passionnantes, durant lesquelles il conte l’histoire des grands bluesmen qu’il a rencontrés et enregistrés dès le début des années 1960. Il reste treize dates de sa tournée jusqu’au 20 avril (dont une soirée privée), et voici maintenant le détail.

Tibo Degraeuwe, David Evans et Cédric Vernet, Salaise Blues Festival, 5 avril 2025. © : Blues Actu Radio.

– Lundi 7 avril : Hall Blues Club à Pélussin (42).
– Mardi 8 avril : Club 27 à Marseille (13).
– Mercredi 9 avril : WhiteStone Prod 84 à Orange (84).
– Jeudi 10 avril : foyer rural d’Azillanet (34).
– Vendredi 11 avril : brasserie Tanis à Garrigues (81).
– Dimanche 13 avril : Toulouse Blues Society à Toulouse (31), master class et concert à la TBS.
– Lundi 14 avril : soirée privée à Chédigny (37).
– Mardi 15 avril : L’Autruche à Rennes (35).
– Mercredi 16 avril : Le Caboulot à Nantes (44), en live dans le cadre de l’émission Prun’ de Blues.
– Jeudi 17 avril : Bistrot 64 à Tours (37).
– Vendredi 18 avril : Le Budy à Larré (56).
– Samedi 19 avril : Central Café à Mesquer (44).
– Dimanche 20 avril : L’Armony à Montreuil (93).

Jean-François Baulès, David Evans et Jean-Luc Suarez, Salaise Blues Festival, 5 avril 2025. © : Courtesy Jean-Luc Suarez.

Chronique du livre
Going Up the Country – Adventures in Blues Fieldwork in the 1960s, par Marina Bokelman et David Evans, University of Mississippi Press, anglais, 328 pages, 28 dollars.
En 1966 et 1967, deux étudiants de l’université UCLA à Los Angeles, Marina Bokelman (1942-2022) et David Evans (né en 1944), musiciens et passionnés de traditions folkloriques, partent réaliser des enregistrements de terrain. Ils abordent le sujet comme personne avant eux, avec un livre très original articulé en trois parties. La première évoque leurs parcours avant leurs missions et livre déjà des anecdotes intéressantes. Ainsi, en 1958, Marina Bokelman, découvre Muddy Waters, Honeyboy Edwards et Howlin’ Wolf grâce à… Frank Zappa ! Quant à Evans, il est confronté à la ségrégation dès son adolescence au Texas. La troisième partie s’arrête sur leur carrière après leurs travaux, qui prend des chemins différents, Marina optant pour la phytothérapie, pendant que David, nous le savons, poursuivra dans l’ethnomusicologie. Entre-temps, ils nous font part de leurs notes de terrain (field notes), juste corrigées pour paraître en livre, et nous emmènent à la campagne (going up the country). Au gré de leurs itinérances, ils (re)découvrent, enregistrent et interviewent Robert Pete Williams, Roosevelt Holts, Herb Quinn, Ishmon Bracey, Arzo Youngblood, Fred McDowell, K.C. Douglas, Ruben Lacy, Johnnie Temple, Fiddlin’ Joe Martin, Woodrow Adams, Houston Stackhouse, Jack Owens, des membres des familles de Tommy Johnson et Charlie Patton, et bien d’autres. Mais surtout, alors qu’ils sont Blancs et âgés de 24 et 22 ans, ils nous plongent dans une région ségréguée dont ils ignorent les codes, ne cachent rien de leurs difficultés à dénicher les artistes, de leurs relations, des refus qu’ils essuient, des amitiés qui se nouent. Ajoutons une iconographie exceptionnelle par Marina Bokelman, composée de photographies inédites et rares. Un livre captivant qui devrait marquer notre époque.
© : Daniel Léon / Soul Bag.

© : University of Mississippi Press.