Au programme de mon émission sur YouTube, Pearly Brown et Rhiannon Giddens à l’occasion du jour de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe.
Une émission qui me tient très à cœur aujourd’hui, car ce 27 mai marque le jour de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe, officiellement proclamé ce jour-là en 1848. Si vous êtes fidèle de ces articles et de mes émissions, vous savez que je vis sur l’île de Marie-Galante en Guadeloupe, et vous savez également mon attachement à la cause des Noirs en général et des Afro-Américains en particulier. Certes toujours sur fond de musique, j’évoque régulièrement dans mes émissions des thèmes autour de l’histoire, des traditions et de la culture, et tout particulièrement l’esclavage, la ségrégation, les droits civiques, etc. Et les premiers esclaves déportés en Amérique et dans les Antilles ont des origines communes, car tous viennent principalement les pays d’Afrique de l’Ouest.
Mais revenons à la Guadeloupe et commençons par le commencement. Sur la route directe des actuels États-Unis depuis l’Europe occidentale et l’Afrique de l’Ouest, les Antilles ont été colonisées dès les premières grandes explorations maritimes. Simplement à titre d’exemple, le 3 novembre 1493, un certain Christophe Colomb toucha terre sur la Dominique, une autre partie de sa flotte poursuivant pour aborder pour la première fois d’autres îles qui font aujourd’hui partie de l’archipel de la Guadeloupe, dont Marie-Galante… Le lendemain, viendra le tour de la Guadeloupe proprement dite, en un lieu situé sur la côte est de Basse-Terre, au niveau de Sainte-Marie, du nom du navire amiral de Colomb. Comme sur d’autres îles de la région, la colonisation proprement dite débutera au milieu des années 1630, et toutefois plus tard à Marie-Galante, en 1648.
Dans tous les cas de figure, l’arrivée des esclaves commencera peu après la colonisation. Et sur la Guadeloupe dite « continentale », composée de la Basse-Terre et de la Grande-Terre, on comptait donc des esclaves depuis le début des années 1640. Cette chronologie d’événements ne saurait surprendre quand on sait que le premier bateau avec des esclaves venus d’Afrique arriva aux futurs États-Unis, plus précisément sur le territoire de l’actuelle Virginie, en 1619. La traite des Noirs ne fera évidemment que s’accélérer jusqu’à la fin de ce XVIIe siècle et se poursuivra au XVIIIe et dans la première moitié du XIXe. Le nombre d’esclaves ne cessa d’augmenter, et au moment de la Révolution française, sur Marie-Galante où l’exploitation de la canne à sucre demandait une importante main-d’œuvre, les esclaves représentaient près de 90 % de la population totale de l’île… Dans mon émission, j’illustre cette phase de l’histoire avec une première chanson, Steel Away, interprétée en 1973 par le révérend Pearly Brown.
Cette chanson n’a pas été composée par Pearly Brown, mais vers 1862 par un esclave affranchi, Wallace Willis. Le texte à double sens ne se rapporte pas seulement à Dieu, c’est une invite à s’enfuir discrètement. Il fait partie de ces codes qui étaient couramment utilisés pour les esclaves en fuite, notamment lors de l’Underground Railroad. Ce réseau clandestin, qui comme son nom ne l’indique pas n’a rien à voir avec les trains, fut actif du début du XIXe siècle pratiquement jusqu’à la Guerre de Sécession. Monté par des abolitionnistes, des Noirs libres, des esclaves affranchis ou encore d’anciens fuyards, il se composait de routes et de caches sûres censées favoriser la migration des esclaves vers les États dits « libres » du Nord (free states) et même le Canada, où l’oppression était moins forte ou l’esclavage même carrément interdit. On estime qu’au moins 100 000 esclaves bénéficièrent de ce réseau.
En Guadeloupe, le tournant des XVIIIe et XIXe siècles fut toutefois très agité. Les Britanniques envahirent l’archipel, et ce n’était pas la première fois, mais ils seront chassés, ce qui débouchera sur une première abolition de l’esclavage, proclamée en 1794. Hélas, Bonaparte rétablit l’esclavage en 1802, malgré une révolte menée par Louis Delgrès. Originaire de Martinique, Delgrès mena cette année-là une résistance acharnée contre les troupes du Premier consul dans un fort à Basse-Terre qui porte aujourd’hui son nom. Mais il ne put empêcher l’inéluctable… Peu après, en 1808, les Britanniques revinrent sur l’archipel et prirent au passage Marie-Galante. La Guadeloupe redeviendra française en 1815. Pour l’abolition définitive de l’esclavage, il faudra encore attendre un décret du 27 avril 1848, prévu pour entrer en vigueur le 5 juin. Mais le gouverneur de la Guadeloupe, Jean-François Layrle, redoutant des émeutes, décida d’anticiper les événements et promulgua l’abolition de l’esclavage ce fameux 27 mai 1848, il y a tout juste 171 ans aujourd’hui. Soit, par exemple, 17 ans avant les États-Unis…
Voilà pourquoi le 27 mai est le jour officiel de l’abolition de l’esclavage, et c’est logiquement un jour férié en Guadeloupe, mais pas ailleurs en France. Il y aurait bien sûr beaucoup plus à dire sur le sujet, et je n’ai qu’un message à faire passer dans ce très modeste article et viamon émission tout aussi modeste : surtout n’oublions pas. L’esclavage inspira de tout temps des chants et des hymnes symboliques, dont bien sûr des spirituals au XIXe siècle.
Mais justement, pour ne surtout pas oublier, des artistes continuent aujourd’hui de composer des chansons dans cet esprit. C’est le cas de Rhiannon Giddens, qui figure en outre parmi les meilleures chanteuses actuelles. Elle a ainsi écrit une magnifique chanson basée sur des récits d’esclavage à l’époque de la Guerre de Sécession, Come Love Come. J’ai programmé dans mon émission une version en public qui date de 2016.
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