Au programme de mon émission sur YouTube, John Mayall (rubrique « Un blues, un jour »), Bobby Grant et Jim Thompkins (rubrique « Réédition de la semaine »).
John Mayall, qui fête donc aujourd’hui ses 85 ans, est assurément un des personnages les plus populaires du blues depuis plus d’un demi-siècle ! Né le 29 novembre 1933 à Macclesfield en Angleterre, il frappe très fort avec le célébrissime « Blues Breakers with Eric Clapton » dès 1966, contribuant aussi, et peut-être involontairement, à faire de Clapton une star planétaire alors que celui-ci n’a que 20 ans au moment de l’enregistrement, il est sans doute bon de le rappeler… Mayall, lui, est déjà trentenaire et cela fait une dizaine d’années que ce fils de guitariste est actif dans le monde de la musique, ayant formé son premier groupe en 1956 (The Powerhouse Four). C’est donc un artiste expérimenté et un musicien accompli qui signe fin 1964 pour Decca (sortie l’année suivante) son premier album sous son nom, un live intitulé « John Mayall Plays John Mayall ». Il est vrai que l’homme se distingue avec son curieux chant haut perché, qui peut surprendre de prime abord, mais qui deviendra la marque identifiable de son style. Et aujourd’hui, nul ne songerait à se moquer de sa voix, bien au contraire, et je me demande même avec le recul si ce n’est pas la plus forte carte de son jeu !
On ne parlera évidemment pas de scoop mais c’est peut-être bien unique dans l’histoire de la musique populaire, Mayall va voir se succéder dans les rangs de ses Bluesbreakers (oui, en un mot quand il s’agit du groupe…) les trois guitaristes majeurs du mouvement dit du « British Blues Boom » des années 1960, appelés à devenir ensuite des « stars » adulées du rock. Ainsi, après Clapton qui s’en ira vite former Cream avec Jack Bruce (b) et Ginger Baker (dm), Peter Green arrivera, bientôt membre fondateur de Fleetwood Mac en 1967, pour laisser la place à Mick Taylor (connu de Mayall depuis 1966…), qui remplacera Brian Jones en 1969 au sein des Rolling Stones ! En outre, bien d’autres musiciens non guitaristes, mais importants de la période, accompagnent Mayall qui agit véritablement en catalyseur. Enfin, n’oublions pas qu’il est lui-même un excellent chanteur (lire plus haut) et multi-instrumentiste, notamment bon harmoniciste et excellent pianiste-organiste. Seules ses « bidouilles » à la guitare sur scène m’ont souvent semblé incongrues… Au bilan, tous ses disques enregistrés dans la seconde moitié des années 1960 (une douzaine !) suffiraient presque pour donner un panorama complet de l’évolution du blues britannique à cette époque, qui correspond aussi à son apogée…
À la fin des années 1960, Mayall s’installe à Laurel Canyon en Californie, et sa carrière, même si elle reste ancrée dans le blues, prend différentes directions, d’autant que ses musiciens ne s’appellent (provisoirement) plus les Bluesbreakers. Les années 1970, avec des incursions vers le jazz, sont sans doute les plus éloignées du blues de son parcours, mais s’il a déjà acquis le statut de légende, il ne se repose pas pour autant sur ses lauriers et ses réalisations restent personnelles et de qualité. D’autant qu’il continue de s’entourer de musiciens de grande valeur, même s’ils ne sont pas aussi prestigieux que ses devanciers. C’est là une autre caractéristique à souligner chez Mayall, sa rigueur dans le choix de ses accompagnateurs, et cela explique aussi sa longévité. À partir de 1982, il revient plus franchement au blues en « ressuscitant » ses Bluesbreakers, un nom qu’il abandonnera à nouveau en 2008. John Mayall ne cessera jamais d’enregistrer à un rythme affolant, et à titre d’exemple, Wikipédia lui prête ainsi quelque 90 albums, certes compilations comprises, mais quand même ! Et malgré des soucis de santé au printemps dernier (une pneumonie), il continue donc sa carrière avec un album attendu en février prochain (« Nobody Told Me »), suivi d’une tournée qui le mènera en France en avril (détails sur le site de Soul Bag). Pour mon émission, je vous propose un extrait de son dernier disque, enregistré en public (« Three for the Road »), avec le morceau Lonely Feelings.
Toute sélection parmi les dizaines d’albums de John Mayall est vaine et arbitraire, sa carrière et sa longévité parlent pour lui. Je serai donc arbitraire ! Sans doute comme bien des gens de ma génération, je suis venu au blues par les disques de John Mayall, notamment ceux des années 1960, et certaines de ses réalisations de la période resteront dans l’histoire. Je vous propose donc simplement une liste de mes préférés portant sur cette époque…
– « John Mayall Plays John Mayall » (Decca, 1965). Son premier album sous son nom, enregistré en public en décembre 1964. Pas encore de guitariste emblématique, mais côté Mayall tout est déjà en place, avec cette voix singulière, l’harmonica, l’orgue… Pas de doute, c’est du John Mayall !
– « Blues Breakers with Eric Clapton » (Decca, 1966). Évidemment… Un grand disque de blues. Pour Clapton, qui sonne comme jamais, et, accessoirement, débute au chant (Ramblin’ on My Mind), plus rien ne sera pareil après ce disque… Et pour Mayall aussi, sans doute !
– « A Hard Road » (Decca, 1967). Peter Green (g) arrive, mais tout le casting est édifiant : John Almond (sax), John McVie (b, fondateur de Fleetwood Mac avec Green), Aynsley Dunbar et Hughie Flint (dm). Un peu plus « propre » que le précédent mais toujours remarquable, avec un Mayall qui chante de mieux en mieux.
– « Crusade » (Decca, 1967). Le premier album de Mayall avec Mick Taylor, âgé de 18 ans, qui apporte une nouvelle « couleur » avec de la guitare slide. Contient notamment la superbe composition en hommage à J. B. Lenoir, The Death of J. B. Lenoir.
– « The Blues Alone » (Ace of Clubs/Decca, 1967). Une parenthèse avec un Mayall qui joue de tous les instruments, seulement accompagné du batteur Keef Hartley sur huit titres. Une réussite dans le genre, dans une ambiance intimiste qui va bien au leader qui prouve qu’il se débrouille très bien tout seul !
– « The Turning Point » (Polydor, 1969). Un disque en public qui marque en fait des tournants. D’abord sous la forme d’un changement de label : après ses disques historiques pour Decca, Mayall signe chez Polydor. Un changement stylistique, aussi, qui annonce de nouvelles orientations dans les années 1970, bien illustré par John Almond à la flûte et au saxophone… Un album d’ailleurs composé de longues plages avec des improvisations, qui se démarque en cela des précédents en studio, plus « carrés ».
– « Back to the Roots » (Polydor, 1971). Enregistré fin 1970. J’ai toujours aimé cet album (un double LP à l’origine), sur lequel Mayall convie certains guitaristes des « premiers » Bluesbreakers (Clapton, Taylor), mais aussi des musiciens américains car il vit désormais aux États-Unis, les plus connus étant le guitariste Harvey Mandel et le bassiste Larry Taylor (alors membres du Canned Heat) et le violoniste Sugarcane Harris. Un ensemble varié et abouti, très « mature ».
Mais je le répète, cette sélection qui ne considère que les premières années de John Mayall, de plus liée à mon parcours personnel, est forcément réductrice, et il existe bien d’autres albums plus récents du « père du blues britannique » hautement recommandables.
En deuxième partie, pour la réédition de la semaine, je fais une entorse à ma règle en programmant exceptionnellement deux morceaux au lieu d’un seul. Cela porte sur une anthologie consacrée à la guitare slide, intitulée « Bottleneck Guitar: Selected Sides 1926-2015 », sortie par le label anglais JSP. Comme il s’agit d’un coffret de 4 CD qui compte 88 morceaux et couvre la période 1926-2015, soit presque un siècle, il m’a semblé difficile de l’illustrer avec une seule chanson ! Je vais même plus loin : je consacrerai en fait deux volets à cette compilation, en passant donc deux morceaux aujourd’hui et deux autres jeudi prochain. On connaît l’importance de la slide dans le blues, elle fut d’ailleurs présente dès les premiers enregistrements de blues rural en octobre 1923, avec des faces que l’on doit à Sylvester Weaver (toutefois absent sur la présente anthologie). Comme bien des sélections très larges dans le même esprit, celle-ci rassemble les stylistes les meilleurs et les plus connus du genre, avec par exemple ici Tampa Red, Charlie Patton, Son House, Kokomo Arnold, Robert Johnson, Robert Nighthawk, Elmore James, Muddy Waters, Fred McDowell ou bien, plus près de nous, Joe Louis Walker. Mais leur principal avantage, du moins à mon avis, est aussi de proposer des perles rares de la part d’artistes très peu connus ou même totalement oubliés de nos jours. Elles sont indispensables pour offrir un panorama complet d’un style ou d’une technique et ne manquent pas ici. Je vous invite donc à en découvrir quelques-unes. Commençons avec Bobby Grant, auteur d’un single, soit deux titres, en 1928, pour lequel j’ai choisi Nappy Head Blues. Quant à Jim Thompkins, encore plus fort, car si lui aussi apparaît sur un seul single, il n’a enregistré qu’un titre car l’autre face est l’œuvre du pianiste Speckled Red ! Vous pouvez donc écouter dans « Les temps du blues » le seul et unique morceau de Jim Thompkins, gravé en 1930, Bedside Blues.
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