Au programme de mon émission sur YouTube, Sonny Boy Williamson II (rubrique « Un blues, un jour ») et la BD Love in Vain en édition spéciale (rubrique « Blues in France »).
En première partie, j’évoque dans « Un blues, un jour » Sonny Boy Williamson II, né le 5 décembre 1912, un des harmonicistes les plus influents de l’histoire du blues. Établir sa biographie est malaisé car il adorait brouiller les pistes… Il est d’abord quasiment impossible de déterminer sa date exacte de naissance : il prétendait être né le 5 décembre 1899, mais d’autres années sont citées, 1912 apparaissant aujourd’hui comme la plus crédible. En outre, il ne s’appelait pas Williamson car il est né Aleck ou Alex Ford, mais il a pris le nom de son beau-père Jim Miller. Traditionnellement, on l’appelle plutôt Alex « Rice » Miller. Mais suite au succès de l’autre Sonny Boy Williamson, qui lui se nommait réellement Williamson, il a décidé de prendre le même pseudonyme ! Voilà pourquoi nous sommes désormais contraints de « numéroter » (I et II) ces deux harmonicistes aux styles très différents mais à l’influence comparable…
Originaire du nord-est du Delta, Miller débute dans la région mais il tourne aussi à l’extérieur du Mississippi, et au début des années 1940, on le voit du côté d’Helena (Arkansas), où il participe en 1941 à la toute première diffusion de la célèbre émission King Biscuit Time sur la radio KFFA. Sonny Boy Williamson II entre pour la première fois en studio en 1951 pour le label Trumpet, pour une séance désormais légendaire que je décris ainsi dans mon article consacré à Elmore James publié dans le numéro 230 de Soul Bag : « Le 4 janvier 1951, il [Sonny Boy] se présente en studio avec Joe Willie Wilkins et Elmore James aux guitares, Willie Love au piano et Joe Dyson à la batterie, pour graver le single Eyesight to the blind / Crazy about you baby. McMurry [propriétaire de Trumpet] en tire quelques exemplaires, décide de le produire en série mais un incendie détruit l’original. On recommence donc le 12 mars (avec en plus Henry Reed à la basse), mais apparemment sans Elmore James. » Après ce premier single, Sonny Boy et les mêmes musiciens (Leonard Ware remplace toutefois Dyson aux fûts), remettent ça le 5 août 1951 et gravent huit titres : certains deviendront importants dans le répertoire de l’harmoniciste comme Stop Crying et Pontiac Blues. L’histoire nous rappelle enfin que ce même jour, avec Sonny Boy à l’harmonica, Elmore (orthographié Elmo) James réalise ses premiers titres dont le très fameux Dust My Broom…
La carrière de Sonny Boy est bien lancée et il bénéficie en outre d’un coup de pouce de la chance alors qu’il accompagne Elmore James à Chicago depuis 1953. Suite à la faillite de Trumpet, son contrat est racheté par Chess, et pendant une dizaine d’années (1955-1964), il va signer pour la marque (en réalité, essentiellement pour sa filiale Checker) un nombre impressionnant de classiques intemporels : Don’t Don’t Start Me Talkin’, Keep It To Yourself, One Way Out, Nine Below Zero, Bye Bye Bird, My Younger Days, Help Me… En 1963, il participe à la tournée de l’American Folk Blues Festival et devient le premier bluesman à se produire en Europe aux côtés de groupes britanniques comme les Yardbirds et les Animals. Jouissant d’une immense popularité auprès du public et des musiciens européens, il séjourne quelque temps de ce côté de l’Atlantique, puis il retourne aux États-Unis. Mais il n’a pas le temps de profiter de sa récente notoriété et décède le 24 mai 1965 à Helena. Malgré sa personnalité fantasque, Sonny Boy Williamson restera comme un des bluesmen les plus influents de l’histoire, tous instruments confondus. C’était un harmoniciste d’une incroyable finesse, capable de maîtriser toutes les nuances de son instrument, qui prolongeait sa voix expressive également très souple. Enfin, ses textes en font aussi un compositeur avisé et malicieux. Toutes ses caractéristiques s’illustrent parfaitement sur Help Me (1963), que j’ai donc choisi pour mon émission.
Bien que sa carrière couvre une période relativement courte, la discographie de Sonny Boy Williamson II, d’une grande densité, fait depuis des décennies l’objet de multiples rééditions sur différents supports. Toutes ses faces gravées pour Trumpet puis Checker/Chess sont essentielles. En quatre CD et 69 morceaux, la récente anthologie « Nine Below Zero 1951-1962 » (Real Gone Music, 2017) offre un large panorama de l’œuvre de l’artiste, mais il y en a d’autres…
Été 2014 : bien entendu déjà journaliste pour Soul Bag, je travaille également pour une maison d’édition qui s’apprête à sortir une bande dessinée consacrée à Robert Johnson. La BD en question (un roman graphique, pour être précis) s’intitule Love in Vain, les auteurs sont le dessinateur Mezzo et le scénariste Jean-Michel Dupont, et la maison d’édition qui la publie s’appelle Glénat. On l’attend depuis trois bonnes années, et dès 2011, nous l’évoquions déjà bien avant tout le monde dans le numéro 203 de Soul Bag : un dessin tiré de la BD fait la couverture du magazine, dans lequel d’autres reproductions illustrent un dossier central sur Robert Johnson, suite à un reportage réalisé dans le Mississippi à l’occasion du centenaire de la naissance du bluesman. Forcément, nous savions déjà qu’il s’agissait d’une œuvre de très grande qualité, grâce aux superbes dessins de Mezzo, mais aussi aux textes parfaitement documentés de Jean-Michel Dupont. Le succès sera d’emblée au rendez-vous, le tirage initial de la BD en septembre 2014 étant épuisé dès sa sortie !
Quatre ans, plusieurs réimpressions et neuf traductions plus tard (dont en anglais, la BD a été publiée aux États-Unis), les auteurs ont souhaité aller plus loin. Eux aussi sont partis sur les traces de Robert Johnson dans le Mississippi, un voyage dont ils ont ramené de magnifiques souvenirs, mais aussi (et surtout, pour nous !) un film de 52 minutes réalisé par Nicolas Finet, Mississippi Ramblin’. Désormais à la tête d’un ensemble conséquent d’éléments, auteurs et éditeur ont donc logiquement décidé de proposer une édition spéciale à tirage limité (1 300 exemplaires, il faut faire vite !), sous la forme d’un coffret contenant : le roman graphique initial Love in Vain, un 33-tours vinyle avec 16 titres du bluesman choisis par les auteurs, le DVD du film Mississippi Ramblin’, deux carnets (un de croquis préalables à la BD, un de portraits de bluesmen) et deux reproductions en grand format. Certes, la BD est connue et les 16 titres de Johnson ont été multi-réédités (ceci dit, ce nouvel « habillage » ravira les collectionneurs), et les dessins de Mezzo n’existaient pas rassemblés sous cette forme.
Quant au film, entièrement nouveau, il restait à découvrir. Décliné en trois chapitres (sur le Delta, Johnson lui-même et la fin de sa vie autour de Greenwood), il est très réussi, et d’autant plus précieux qu’il est inhabituel que des Français ramènent de tels documentaires sur le blues de cette région. Toujours rigoureux comme ils le furent dès l’élaboration de leur BD, les auteurs (qui n’hésitent pas à partager la scène à Clarksdale avec des musiciens locaux !) ont choisi des interlocuteurs crédibles, dont des spécialistes (Roger Stolle, Scott Barretta…), des artistes du cru dont R.L. Boyce (même s’il n’incarne pas vraiment le Delta blues), Lucious Spiller, Anthony « Big A » Sherrod, Pat Thomas, Ben Payton et Watermelon Slim (irrésistible d’autant qu’il s’exprime en français !), et bien sûr des lieux symboliques (la gare de Tutwiler, le carrefour des routes 61 et 49, la tombe de Johnson près de Greenwood, Dockery Farm)…
Enfin, comme il faut aussi parler de ces choses-là, ce coffret coûte 89 euros, ce qui, compte tenu de son contenu, me semble raisonnable.
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