Au programme de mon émission sur YouTube, Joe Willie Wilkins, (rubrique « Un blues, un jour »), et Louis Jordan (rubrique « Top of Blues »).
Le chanteur et guitariste Joe Willie Wilkins est une énigme dans l’histoire du blues. Voilà en effet un artiste (chanteur et guitariste) qui a joué un rôle central en tant qu’accompagnateur, autant dans le blues de Memphis des années 1940 et 1950 que dans l’émergence du blues moderne, auprès des maîtres de ces différents styles, sans rien enregistrer sous son nom, hormis un album sorti en 1977 pour Adamo (« Joe Willie Wilkins & His King Biscuit Boys »), qui regroupe des faces gravées dans les années 1970 ! Mais commençons par le commencement… Joe Willie Wilkins est né un 7 janvier, probablement en 1921 même si des sources citent aussi l’année 1923, à Davenport dans le Delta. Ne cherchez pas cette localité sur les cartes (ni sur le terrain !), disons que Wilkins a grandi à partir de 1933 sur une plantation vers Bobo, à seulement cinq kilomètres au sud-ouest de Clarksdale. Proche de Charlie Patton et un peu connu localement, son père qui joue de la slide le met vite au contact du blues, et le jeune Wilkins apprend d’abord l’harmonica, le violon, l’accordéon mais aussi la guitare. Il jouera même de la basse, mais bien plus tard.
Mais il donne la priorité à la guitare, et dès la fin des années 1930, c’est un musicien actif dans le Delta qui côtoie Muddy Waters, Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood, Jr. Comme d’autres avant lui qui officient surtout dans la partie nord du Delta, il œuvre peu après du côté d’Helena, au cœur d’une région où le blues est alors en plein essor. Et tout naturellement, dès 1942, il se retrouve au programme de la fameuse émission de radio King Biscuit Time, avec Williamson et Lockwood, bien vite rejoints par Robert Nighthawk (dont il épousera la sœur…), Elmore James, Memphis Slim, Howlin’ Wolf ou bien Houston Stackhouse, qui deviendra un proche. Wilkins se distingue par son jeu de guitare novateur et très moderne, car sans emploi de la slide qui est alors la marque du Delta Blues. Selon certaines sources, Muddy Waters en personne aurait souligné cette singularité et disant notamment que Wilkins était « super bon, pour le blues, le meilleur… »
Vers 1948, Wilkins tourne avec Willie Nix, Willie Love et Sonny Boy Williamson II au sein des Four Aces, vit désormais à West Memphis et semble rencontrer B. B. King dès cette époque. En 1951, il profite de la récente création du studio de Sam Phillips à Memphis (le Memphis Recording Studio où naîtra peu après le label Sun, lire mon article du 3 janvier 2019), où viennent enregistrer les bluesmen engagés par le label Trumpet, fondé la même année. Le 4 janvier 1951, il est ainsi de la toute première séance d’enregistrement de Sonny Boy (avec également Elmore James, lire mon article du 5 décembre 2018), auprès duquel il réalisera finalement une vingtaine de faces jusqu’en 1953, dont les classiques Eyesight to the Blind, Pontiac Blues, Nine Below Zero et Mr. Down Child (orthographié plus tard Downchild). Durant la même période, il joue aussi de la guitare sur des singles d’Elmore (Elmer et Elmo) James, de Willie Nix puis de Roosevelt Sykes en 1957.
Aussi incroyable que cela paraisse, ce musicien très respecté par ses pairs (Little Milton, Pat Hare, Jimmy Rogers et autre Brewer Phillips revendiqueront son héritage) ne signe rien sous son nom ! Il évolue même en retrait de la musique durant les années 1960 (il habite alors Memphis), puis, à partir de 1970, sans doute encouragé par son ami Houston Stackhouse et surtout Jim O’Neal, il forme les King Biscuit Boys, prend part à des festivals, notamment dans le cadre de la tournée Memphis Blues Caravan. Il, et même à la série télévisée de la BBC The Devil’s Music. Enfin, en 1977, sort donc son premier et unique album que j’évoque plus haut. Hélas, de santé fragile, Joe Willie Wilkins décède deux ans plus tard, le 28 mars 1979 à 58 ans… Pour mon émission, j’ai choisi une version live de 1973 de Mr. Downchild, tirée d’un album qu’il partage (sous le nom des King Biscuit Boys) avec Big Walter Horton.
Pour ce premier « Top of Blues » de l’année 2019, j’ai posé à l’antenne deux questions :
– Quel artiste a passé le plus grand nombre de semaines en première place des charts R&B dans les années 1940, précisément de 1942 à 1949 car le nom R&B n’apparaîtra qu’en 1942 ?
– Et combien de semaines est-il resté au sommet de ce classement ?
Vous connaissez forcément les réponses si vous avez écouté l’émission : il s’agit de Louis Jordan, resté en tête des charts pendant 106 semaines, soit à peu près deux ans sur une période de seulement huit ans ! Des chiffres qui donnent carrément le tournis si on ajoute que Jordan a occupé cette première place durant 44 semaines consécutives, « à cheval » entre 1944 et 1945… Il fut évidemment le recordman des charts R&B au cours de cette décennie, et cela donne une bonne idée de l’incroyable popularité de ce chanteur, saxophoniste et chef d’orchestre aujourd’hui légendaire. Né en 1908 et décédé en 1975, il nous laisse dès lors un grand nombre de succès impérissables. Le choix de l’illustration musicale fut donc cornélien, mais je me suis finalement décidé pour le très dynamique Caldonia, une chanson en outre souvent reprise par des bluesmen : on se souvient entre autres des versions de B. B. King et de Clarence « Gatemouth » Brown. Mais j’ai bien sûr programmé la version originale de 1945…
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