Au programme de mon émission sur YouTube, K. C. Douglas (rubrique « Un blues, un jour »), et Snooky Pryor (rubrique « Nouveauté de la semaine »).
Le 5 février à Stockton en Californie, une séance d’enregistrement plutôt originale a débuté. Elle est organisée par le label Bluesville et met en scène le bluesman K. C. Douglas, qui revient deux fois en studio quelques jours plus tard, les 12 et 22 février, pour enregistrer au total 23 morceaux. Ces séances ne déboucheront pas sur un seul disque, mais bien sur deux albums distincts sortis par Bluesville, respectivement intitulés « K.C.’s Blues » et « Big Road Blues ». Certes, en ce début des années 1960, les doubles albums n’existent pas encore (ils apparaîtront trois ans plus tard), et les artistes de blues rural ou Country Blues enregistrent souvent beaucoup, mais il est à ma connaissance très rare que cela débouche sur deux disques portant deux titres différents… On note également la présence aux « manettes » d’éminents personnages, soit Chris Strachwitz du label Arhoolie à la production ,et aux notes de pochette Lawrence « Larry » Cohn, notamment célèbre pour ses travaux sur Robert Johnson et son livre Nothing But the Blues: The Music and the Musicians. Pour la petite histoire, « K.C.’s Blues » est peut-être le meilleur des deux, car il contient plus de compositions personnelles et met bien en avant les qualités de Douglas, qui joue un blues d’inspiration rurale mais dont l’interprétation décontractée le démarque du blues du Mississippi.
Car K. C. Douglasest bien né dans le Mississippi, le 21 novembre 1913 à Sharon, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Jackson, la capitale de l’État. Dès les années 1920, il est particulièrement impressionné par les chansons de Tommy Johnson. Et comme le hasard fait bien les choses, il finit même par le rencontrer au milieu des années 1930, et les deux hommes s’associent pour tourner dans la région, en jouant souvent dans les rues. Néanmoins, en 1945, Douglas quitte le Mississippi pour la Californie, qu’il ne quittera plus. Il forme rapidement un groupe et attire l’attention d’un petit label local, Down Town, pour enregistrer dès sa première séance en 1948 Mercury Boogie, qui sera renommé Mercury Bluestout en restant son morceau fétiche. Quelques faces éparses suivent dans les années 1950 jusqu’aux deux albums de 1961 évoqués plus haut.
Le style de Douglas est dès lors bien affirmé, il se révèle un beau styliste du blues rural avec cette « détente » propre à la Côte Ouest. Vers la même époque, il aurait aussi appris la guitare à un certain Steve Wold : on connaît aujourd’hui Wold sous le nom de Seasick Steve, qui n’est qu’un vulgaire imposteur qui n’a pas hésité à s’inventer un faux passé de bluesman pour booster sa carrière… Il a été démasqué, mais cela a suffi pour leurrer certains médias peu soucieux de vérifier leurs sources. Quant à Douglas, il retrouve ensuite Strachwitz et enregistre cette fois pour Arhoolie de superbes faces en 1973 et 1974 (« The Country Boy »), aujourd’hui rassemblées en 1998 sur le CD « Mercury Blues », qui comprend en bonus des faces du début des années 1960. Douglas semblait prêt à relancer sa carrière, mais elle s’arrêtera brutalement le 18 octobre 1975, car il décédera d’une crise cardiaque à 61 ans. Pour mon émission, j’ai choisi un extrait de son album « K.C.’s Blues » de 1961, You Got a Good Thing Now.
La nouveauté de cette semaine provient du label autrichien Wolf et porte sur un album de Snooky Pryor intitulé « All My Money Gone ». De prime abord, comme il s’agit d’enregistrements qui datent de 1979, on pourrait croire que nous avons affaire une réédition, mais ce n’est pas le cas car ils sont totalement inédits. Pour être complet, il convient de préciser que le chanteur et harmoniciste Snooky Pryor tourna en 1979 en Europe, et notamment en Autriche avec son vieux complice Homesick James. En janvier 2018, Wolf a d’ailleurs sorti « The Sensational Recordings – Shake Your Money Maker » sur lequel Homesick intervenait en leader, un CD de très bon niveau que je vous recommande. C’est ici l’inverse, Snooky étant le leader sur les 14 morceaux de la présente sélection, dont 9 en public et 5 en studio.
Disons-le d’emblée, plusieurs morceaux souffrent d’une assez mauvaise qualité sonore. Cela vaut sur les titres en public, sur lesquels Snooky chante souvent à travers le même micro qu’il utilise pour jouer de l’harmonica, et sa voix ne passe pas bien. Techniquement, c’est toujours difficile à restituer, et ça demande un travail significatif pour améliorer les choses, ce que Wolf n’a donc pas jugé utile de faire. Dès lors, pour ce qui est du live, seuls les deux instrumentaux, Homesick and Snooky’s Boogie et Snooky’s Off the Wall Blues parviennent à éviter ce défaut. Heureusement, il reste les 5 titres en studio qui sont bien meilleurs, et qui paradoxalement nourrissent nos regrets, car si tous étaient de ce niveau, nous aurions un remarquable disque. Ils suffisent en effet pour démontrer toute l’efficacité sobre d’Homesick, et combien Snooky Pryor fit bel et bien partie des harmonicistes les plus expressifs de sa génération. L’extrait que j’ai choisi pour mon émission a bien sûr été réalisé en studio, c’est une belle lecture émouvante du célèbre Big Road Blues.
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