Au programme de mon émission sur YouTube, Will Bennett (rubrique « Un blues, un jour ») et Big Jay McNeely (rubrique « Réédition de la semaine »).
Le 7 mars 1896, une épicerie située à Atmore en Alabama est le théâtre d’un fait divers sanglant. Morris Slater, un hors-la-loi activement recherché dont la tête est mise à prix, est finalement abattu. Sa biographie est mal établie, il est afro-américain mais bien malin qui pourrait dire où et quand il est né. On sait qu’il a travaillé dans un cirque puis dans la récolte de résine de pin pour la fabrication d’huile de térébenthine, ce qui l’a mené en Caroline du Sud, en Alabama et en Floride. Mais il fait parler de lui début 1895, quand il se fait surprendre pour vagabondage par un mécanicien dans un train sur la ligne ferroviaire qui relie Louisville à Nashville. Éjecté du train, Slater sort alors son arme et tire sur l’employé ! Suite à l’altercation, il prend la ligne en grippe et même le train d’une manière générale… Il devient en effet hors-la-loi, rassemble autour de lui d’autres individus peu recommandables pour former un gang et multiplier les attaques de trains.
Ses « exploits » lui valent rapidement d’être recherché, mais faute de connaître son nom, on l’appelle Railroad Bill. Visiblement particulièrement violent, Slater ne s’embarrasse pas lors de ses exactions, et, outre les vols de marchandises, il aurait tué une douzaine de personnes dont un shérif. Il se distingue aussi en s’échappant un peu par miracle quand il est traqué, et à l’instar de personnages similaires, il prendra une dimension légendaire et on lui prêtera des pouvoirs surnaturels, dont celui de se réincarner. On dit aussi qu’il redistribuait le produit de ses larcins aux pauvres… En tout cas, ce 7 mars 1896, il n’échappe donc pas à ceux qui le recherchent et qui lui ont tendu un véritable guet-apens. Slater semble avoir terrorisé la région car sa dépouille étendue sur une planche (avec son pistolet dans la main droite et son fusil à côté du corps) sera exposée en exemple au public, qui pouvait la voir en s’acquittant de la somme de vingt-cinq cents !
Après sa mort, Morris Slater sera à l’origine et le héros d’une célèbre ballade folklorique qui porte son surnom Railroad Bill, et qui sera interprétée par bien des artistes de la musique populaire. On doit les premiers enregistrements connus à des duos pionniers de la country, Riley Puckett et Gid Tanner, puis Roba Stanley et Bill Patterson, tous en 1924, qui se disputeront d’ailleurs les droits de la composition… Plus près de nous, Ramblin’ Jack Elliott, Lonnie Donegan, Van Morrison, Bob Dylan et Joan Baez reprendront aussi Railroad Bill. Côté blues, on doit la première version le 9 juillet 1929 à Frank Hutchison (considéré comme le premier Blanc qui ait enregistré du blues dès 1926), suivi de près par le chanteur et guitariste Will Bennett, le 28 août 1929. Si Hutchison est connu et à la tête d’une discographie significative, Bennett n’a lui gravé que deux morceaux en tout et pour tout. On ne sait quasiment rien de lui sinon qu’il est né vers 1877 en Géorgie et mort après 1930 au Tennessee… Les occasions de l’entendre étant rarissimes, j’ai donc choisi pour mon émission sa version de 1929 de Railroad Bill, d’autant qu’elle est remarquable.
La réédition de la semaine nous ramène au tournant des années 1940 et 1950 avec le chanteur et saxophoniste Big Jay McNeely. Le label Jasmine vient de lui consacrer une anthologie de vingt-neuf titres intitulée « King of the Honkers – Selected Singles 1948-1952 ». Justement débutée à la fin des années 1940, la carrière de McNeely fut très longue et il est mort il n’y a pas si longtemps que cela, le 16 septembre 2018 à l’âge de 91 ans… J’ai même eu la chance de le voir deux fois, notamment lors du festival Jazz à Vienne en 2003. À l’époque de l’enregistrement des faces qui composent cette anthologie, la concurrence était très rude pour les saxophonistes-chanteurs. Leur musique qui mêlait R&B, swing et jump blues, souvent également rehaussée de chanteurs très puissants que l’on appelait blues shouters, dominait les hit-parades et attirait des foules dans les clubs.
Il fallait donc être avant tout un excellent showman et parfaitement maîtriser la scène. C’était le cas de McNeely, véritable acrobate, même s’il se calmera avec l’âge, et saxophoniste que l’on peut qualifier de hurleur (le mot honker est ici dérivé du terme honk, qui signifie klaxon), mais dans le bon sens du terme car il était toujours débordant d’énergie saine. C’était en outre un très bon chanteur dont la voix un peu éraillée et les coups de gosier prolongeaient à merveille les phrases instrumentales. Cette anthologie réussie est également importante car elle met en avant un artiste à une époque de mutation des musiques dites populaires : l’avènement du rock ‘n’ roll n’était en effet pas si loin, et McNeely et consorts ne sont pas pour rien dans cette évolution, ne l’oublions pas. J’ai retenu pour mon émission un morceau de 1949 intitulé Road House Boogie.
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