© : Discogs.

Le label Adelphi ne fait peut-être pas partie de ceux qui viennent d’emblée à l’esprit de l’amateur de blues. Pour l’essentiel de la fin des sixties aux années 1990, cette marque a pourtant sorti près de soixante-dix albums (soit à peu près la moitié de sa production totale) en lien avec notre spectre, sous la forme de disques originaux et de compilations. Les rééditions sont rares pour la période années 1960-1980, ce qui distingue Adelphi d’autres labels de cette époque. En outre, son offre était plutôt éclectique, s’ouvrant ponctuellement au jazz, au gospel, au folk, à la country, au gospel, tout en donnant une place notable au blues blanc et même à des pionniers de ce que nous appelons aujourd’hui le blues rock.

Rosenthal dans son studio vers 1963. © : adelphirecords.com

L’histoire d’Adelphi débute en fait en 1964, quand Gene Rosenthal, passionné de blues et collectionneur de disques, né le 16 janvier 1943 à Kansas City, Missouri, commence à distribuer les labels Arhoolie et Takoma. Mais il se fait surtout connaître les 13 et 20 août de la même année : à Silver Spring, Maryland, il apparaît en tant qu’ingénieur du son lors de la première véritable session complète depuis sa redécouverte de Skip James ! En effet, jusque-là, le bluesman de Bentonia avait seulement gravé quelques jours plus tôt une chanson dans ce cadre au Newport Folk Festival, Devil got my woman, le 25 juillet 1964. On note aussi au sein du staff le nom de John Fahey, autre « découvreur de talents » actif au moment du Blues Revival des années 1960. L’album de Skip James avec les enregistrements de cette session ne sortira toutefois qu’en 1993, sous le titre « She Lyin’ ».

Illustration de pochette du premier album Adelphi, « The True Blues and Gospel » par Backwards Sam Firk. © : Stefan Wirz.

Ce qui n’a rien d’anodin, car Fahey ne cesse d’échanger avec Rosenthal, qu’il n’a pas de mal à le convaincre de l’intérêt de lancer un label dédié au country blues. Ainsi, en 1968, Rosenthal crée Adelphi, qui fait à la fois référence à la Pythie, prophétesse de l’oracle du temple à Delphes (Delphi en anglais), et à la chanson The downfall of the Adelphi rolling grist mill, franchement mystique et dont je vous épargnerai l’écoute. Dans un style un peu moins abscons, Adelphi sort un premier album la même année, « The True Blues and Gospel », œuvre de Backwards Sam Kirk, acteur méconnu du blues blanc américain. Vient le tour l’année suivante de Harry « Suni » McGrath avec « Cornflower Suite », encore empreint d’un « exotisme », pour ne pas dire d’un psychédélisme, qui attirera surtout l’attention des complétistes.

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Puis tout change le 1er septembre 1969 avec la parution de « No Special Rider », un album de Little Brother Montgomery avec Jeanne Carroll. Suit alors « Early in the Morning » par George et Ethel McCoy, qui ne sont autres que le neveu et la nièce de Memphis Minnie ! Toujours en 1969, Adelphi propose une première compilation, sur laquelle on entend Johnny Shines, Sunnyland Slim, John Lee Granderson, Big Joe Williams, Honeyboy Edwards, Henry Townsend… Adelphi confirme ensuite son intérêt pour le blues traditionnel avec des enregistrements de Furry Lewis, Big Walter Horton, Gary Davis, Bukka White, Henry Townsend, Mississippi John Hurt, Houston Stackhouse, Honeyboy Edwards et R.L. Burnside, et sur des compilations Gus Cannon, Nathan Beauregard, Mose Vinson, Dewey Corley, Willie Morris, Sleepy John Estes, Henry Brown, Richard « Hacksaw » Harney, Skip James… Tous les enregistrements sont réalisés et/ou produits par Rosenthal lui-même.

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Un catalogue qui ne néglige pas des artistes talentueux du blues blanc qui échappent pourtant sans doute à bien des spécialistes du genre (Neil Harpe, Roy Bookbinder, Paul Geremia, Harmonica Frank Floyd, John Harbison, Downchild Blues Band, The Allstars From Charlottesville, Va.), ainsi, comme je l’évoquais plus haut, d’autres qui flirtent davantage avec le blues rock dont The Nighthawks, Catfish Hodge Band ou encore Roy Buchanan. À partir des années 1990, Adelphi se dédie essentiellement aux rééditions et s’associe plus tard avec Fat Possum, qui acquiert les archives de Gene Rosenthal et réalise en 2017 une série de dix albums intitulée « Worried Blues ». Elle est constituée d’enregistrements réalisés par Rosenthal et John Fahey dans les années 1960 et 1970, et concernent R.L. Burnside, Gary Davis, Honeyboy Edwards, Mississippi John Hurt, Skip James, Furry Lewis, Little Brother Montgomery, Houston Stackhouse, Bukka White et Reverend Robert Wilkins. Mais depuis 2018 et la réédition de l’album « Tip Your Waitress » des Allstars From Charlottesville, Va., Adelphi est en sommeil…

Rosenthal au début des années 1970. © : adelphirecords.com

Voici maintenant une sélection de chansons en écoute, bien entendu tirées des albums du catalogue Adelphi.
Old reliable one way gal en 1968 par Backwards Sam Firk. Extrait du premier album Adelphi, référence AD 1001.
Prisoner bound blues en 1969 par Little Brother Montgomery.
Meningitis blues en 1969 par George & Ethel McCoy.
Way ‘cross town en 1969 par Big Walter Horton, Honeyboy Edwards & Johnny Shines.
On the road again en 1969 par Furry Lewis, avec Bukka White et Gus Cannon.
Birmingham special en 1969 par Gary Davis, qui s’accompagne lui-même à l’harmonica !
My good woman has quit me en 1969 ou 1970 par Willie Morris.
Travelin’ man en 1971 par Roy Bookbinder.
Searching the desert for the blues en 1972 par Neil Harpe.
Hoodoo blues en 1972 par The Allstars From Charlottesville, Va.

© : Blues Magazine Pays-Bas.