Au programme de mon émission sur YouTube, Willie « Big Eyes » Smith & Pinetop Perkins (rubrique « Un blues, un jour »), et Awek (rubrique « Blues in France »).
Je considère aujourd’hui un entrefilet paru dans la Virginia Gazette du 17 avril 1766. Au XVIIIe siècle aux États-Unis, il était courant que les journaux passent des annonces pour l’achat ou la vente d’esclaves, ou lancent des avis de recherche offrant des récompenses pour retrouver des esclaves évadés. C’est le cas de la Virginia Gazette de ce 17 avril 1766, qui parle, je cite, « d’un évadé depuis mi-décembre d’Hanover [dans le New Hampshire], sans doute un nègre du nom de Damon, mesurant entre 1,75 m et 1,80 m, qui parle bien anglais, avec des cicatrices sur le front et sur la joue, un type vif d’esprit, né aux Antilles, qui joue très correctement du tambour et qui adore ça. » La dépêche s’attarde également sur les vêtements usagés en coton, le vieux chapeau à bord rond portés par l’esclave évadé ou encore son goût pour l’alcool… Son aspect le plus intéressant concerne bien sûr le tambour, un des premiers moyens de communication des esclaves aux États-Unis, qui l’utilisaient aussi pour se distraire quand on les laissait faire.
La percussion fut toujours essentielle dans le blues, et ce dès les débuts avant même l’apparition la batterie : les guitaristes frappaient le corps de leur instrument ou le sol en rythme avec le pied, ou bien accentuaient les basses en jouant. Puis les batteurs arrivèrent… Et Willie « Big Eyes » Smith fait incontestablement partie des meilleurs de l’histoire du blues. Il est toutefois assez rare qu’un batteur soit également bon chanteur, eh bien Willie Smith l’était. Il est encore plus rare qu’un batteur maîtrise un autre instrument, mais Willie Smith était un excellent harmoniciste. Et il est vraiment rarissime qu’en plus de tout cela, le même batteur ait un fils aussi bon batteur que lui, mais c’est encore le cas de Willie Smith, avec son fils Kenny… Pour mon émission, je me suis dit que le mieux serait de les réunir et de les écouter ensemble en 2010, avec un extrait de l’album « Joined at the Hip » (Telarc), avec Pinetop Perkins au piano mais aussi Bob Stroger à la basse. Willie chante et joue de l’harmonica, Kenny de la batterie, et ça s’appelle Lord, Lord, Lord.
Il existe peu de groupes français dont on peut dire que la sortie d’un nouveau disque relève de l’événement. C’est bien sûr le cas d’Awek, qui fête également en 2019 ses 25 ans et nous propose donc un onzième opus original, « Let’s Party Down ». Et comme c’est la fête, le disque studio s’accompagne d’un CD bonus intitulé « Celebrating 25 Years of Blues » comprenant 14 morceaux en public enregistrés entre 1995 et 2017. Je vais donc consacrer deux volets à cette sortie, aujourd’hui et mercredi prochain. Aujourd’hui ce sera donc le CD studio, qui compte aussi 14 titres dont 12 compositions personnelles. Voici déjà une première réponse à ceux qui pourraient croire que la formation se répète : en termes de textes et de propos, la nouveauté est bien au rendez-vous.
En outre, les Toulousains n’ont pas lésiné sur les moyens en s’invitant au studio Greaseland à San José en Californie, chez Kid Andersen (org, g), multi-instrumentiste et producteur qui a tendance à transformer en or un peu tout ce qu’il touche… Il faut y ajouter d’autres invités locaux dont Rusty Zinn (voc, g), Bob Welsh (p, org, g), Chris Burns (p, org), RW Grigsby (b) et Drew Davis (sax). Le disque se distingue par sa solidité et un son qui favorise le dynamisme, mais ce sont là des qualités habituelles chez Awek, on parlera plus de confirmation que de surprise. Mais pas de routine à craindre là non plus, chaque intervenant joue bien son rôle en apportant sa pierre sans ostentation et encore moins excès, sur différents tempos garants d’une belle variété. Alors bien sûr, il y a des choses bien identifiables mais on a besoin de ces repères, et dès lors que l’interprétation est de qualité, pourquoi se plaindre ? Et les bons disques génèrent toujours une même sensation : tout passe très vite et on ne s’ennuie pas un instant…
Côté tempos justement, qui forment en quelque sorte l’ossature de l’ensemble, on trouve du shuffle avec She’s Messing Around, Margarita et I’ve Been Waiting, des choses entre jump blues et même pas loin du rockabilly, comme Let’s Party Down, Don’t Want to Lose You, Early Every Morning et surtout Oh Chérie, clin d’œil évident au Carol de Chuck Berry… L’harmonica de Want You to Be My Girl rappelle Jimmy Reed mais il vaut aussi le détour pour son dialogue entre orgue et guitare, pendant que Here I Am Again flirte avec la ballade… Les tempos lents ne sont pas oubliés, dont Snake Boy que n’aurait pas renié Muddy Waters, Feel So Cold et Come on in This House. Pour mon émission, j’ai d’ailleurs retenu ce dernier morceau qui démontre qu’Awek peut très bien se passer d’invités prestigieux (seul Bob Welsh est présent aux claviers) : l’osmose est juste parfaite entre les quatre Français, et il suffit d’écouter ce que font Bernard Sellam à la guitare et Stéphane Bertolino à l’harmonica, expérience et feeling peuvent réellement faire des merveilles.
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