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Au programme de mon émission sur YouTube, les Staple Singers (rubrique « Un blues, un jour »), et Robert Finley (rubrique « En tournée »).

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Nous allons encore remonter très loin, très exactement au 25 mai 1856, pour évoquer un personnage du nom de John Brown, un nom courant s’il en est… Né le 9 mai 1800 à Torrington dans le Connecticut, John Brown était blanc et ardent abolitionniste, et il fut le premier de son genre à véritablement partir en guerre contre l’esclavage, n’hésitant pas pour cela à mener des actions violentes. Et ce fut le cas ce 25 mai 1856 : en représailles à des esclavagistes qui avaient détruit les locaux de journaux abolitionnistes, John Brown fut à l’origine du massacre de Pottawatomie au Kansas, qui se solda par la mort de cinq colons esclavagistes. Mais Brown fut un activiste dès la moitié des années 1820, en Pennsylvanie où il vivait alors. Propriétaire d’un grand terrain, il y gérait notamment une tannerie qui dissimulait en fait une planque pour les esclaves en fuite ! De 1825 à 1835, sa tannerie fut un des principaux points de passage du réseau de l’Undergound Railroad, et on estime que Brown aida 2 500 esclaves.

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Pourtant, durant les années 1830, il connut de nombreux problèmes, perdit sa femme et un de ses fils, tomba malade et ses affaires jusque-là florissantes périclitèrent. En 1837, suite à l’assassinat de l’abolitionniste Elijah P. Lovejoy, il déclara qu’il consacrerait désormais son existence à « la destruction de l’esclavage ». Il s’y employa effectivement par des actions de plus en plus dures, finissant par prôner l’usage des armes et reprochant aux abolitionnistes leur pacifisme… Son engagement lui fit même dire qu’il était l’envoyé de Dieu pour lutter contre Satan. Après le massacre de Pottawatomie, il proclama une nouvelle Constitution interdisant l’esclavage, et décida en 1859 de lancer une insurrection à Harpers Ferry en Virginie. L’affaire tourna court et très mal, Brown fut blessé, capturé et condamné à mort. Il sera finalement pendu le 2 décembre 1859, à l’âge de 59 ans.

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Une des lettres de Victor Hugo après la mort de John Brown. © : The BNA

Mais sa cause connut un écho au-delà des États-Unis et même en France, où un certain Victor Hugo demanda sa grâce dans une lettre ouverte. Sa requête n’aboutira pas et d’autres échanges entre le célèbre auteur français et les autorités américaines sur le cas Brown et l’esclavage attiseront les tensions entre les deux pays. En tout cas, les actions de John Brown ont conduit à la Guerre de Sécession. De nos jours, il reste très controversé, il fut un martyr pour les abolitionnistes et les esclaves, mais un fou et un terroriste pour ses détracteurs. Abraham Lincoln, pourtant à l’origine de l’abolition de l’esclavage en 1865, le qualifia de fanatique. John Brown a inspiré bien des artistes, dont Bob Dylan qui a écrit en 1962 une chanson inspirée par son histoire, même si elle évoque la guerre dans un sens plus large. Mais elle s’intitule bien John Brown. Pour mon émission, j’ai choisi une superbe reprise de 1967 par les Staple Singers (tiré de l’album « Pray On » sorti chez Epic), avec au chant un Pervis Staples dont le phrasé prolonge étonnamment celui de Dylan…

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J’aime bien cette rubrique « Sur scène », car en cherchant de quoi l’alimenter, elle me permet souvent de tomber sur des extraits de concerts surprenants. Ça concerne aujourd’hui le chanteur et guitariste Robert Finley lors d’une prestation du 25 mai 2018 à Washington. Finley est né le 15 février 1954 à Monroe, au nord de la Louisiane. Il a débuté en chantant du gospel à l’église et en apprenant la guitare, puis il a commencé à jouer dans les rues, avant de s’engager dans l’armée et de servir en Allemagne. Ses talents artistiques lui ont alors permis de faire partie du groupe de sa garnison, mais également d’organiser des animations autour de la musique au gré des missions, tournant et voyageant beaucoup, et se forgeant ainsi une expérience dans des circonstances plutôt inhabituelles. Après son retour à la vie civile, il rentre à Louisiane, joue un peu dans les rues et se dit qu’il pourrait peut-être envisager une carrière dans la musique.

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Avec Dan Auerbach, Easy Eye Sound Revue, Brooklyn Steel, mars 2018. © : Griffin Lotz / Rolling Stone

Mais il a du mal à trouver des engagements, et comme il a besoin de travailler pour survivre, il fait de la menuiserie, une activité apprise à l’origine avec son père. Robert Finley sera ensuite affecté par de gros problèmes de vue et sa cécité, officiellement reconnue même s’il n’est pas totalement aveugle, ne lui permettra plus de pratiquer la menuiserie. Il est finalement sorti de l’anonymat par la fondation Music Maker en 2015, et l’année suivante, il sort à 62 ans un remarquable premier album, « Age Don’t Mean a Thing » (Big Legal Mess), puis un deuxième l’année suivante, tout aussi excellent, « Goin’ Platinum! » (Easy Eye Sound). On découvre alors un chanteur proprement hallucinant, au registre vocal extrêmement étendu. Car si Robert Finley a été nourri au gospel, sa souplesse fait également merveille dans le soul blues. J’ai donc déniché pour mon émission l’extrait d’un concert en 2018 dans lequel il fait une démonstration incroyable. Et j’ai tout laissé dont l’introduction parlée. Soyez patient, surtout si vous ne connaissez pas Robert Finley, car à partir de 3:30, ça dépasse l’entendement… Ça s’appelle Holy Wine.

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. Indra Club, Hambourg, 2018. © : Frank Schwichtenberg / Wikipedia