Nouvel article de ma rubrique qui s’arrête sur des mots et des expressions propres aux textes du blues, dont on ne trouve pas la traduction dans les dictionnaires traditionnels (*). Il s’agit essentiellement d’expliquer le sens de ces termes nés lors de la conception du blues, soit dans les années 1880, en les remettant dans le contexte des compositions des musiques afro-américaines. Aujourd’hui, arrêtons-nous sur hellhound. Et cette fois, pas de risque d’erreur, hellhound, que l’on écrivait aussi parfois en deux mots, hell hound, c’est bel et bien le chien gardien des Enfers, celui de la mythologie grecque, Cerbère étant le plus connu. L’affreuse bestiole est un énorme chien, et selon les représentations, comme il est polycéphale, il compte plusieurs têtes. Généralement, il apparaît avec trois têtes, mais selon certains poètes archaïques grecs, il aurait pu en posséder cinquante ou même cent ! Mais Cerbère est un mythe.
Comme souvent, c’est du côté de l’Afrique que nous allons trouver des éléments qui auraient pu inspirer les bluesmen, auprès des Bakongo. Ce peuple bantou d’Afrique centrale est présent au Congo, un peu en Angola et au Gabon. Pour les Bakongo, il existe un village des chiens entre le monde des vivants et la forêt des morts. Dans l’art des Bakongo, des chiens à deux têtes sont fréquemment représentés, littéralement hérissés d’aiguilles, de clous et autres pièces de métal pour éloigner le mal. Et ces chiens seraient surtout capables de retrouver toute personne en fuite après avoir commis un crime. Or, dans la mythologie afro-américaine du Sud des États-Unis, le hellhound est aussi une incarnation de Satan qui traque les non-croyants. D’ailleurs, dans Show pity lord, probablement en octobre 1926, le Biddleville Quintette chante : « Le chien des Enfers a abandonné ma trace. » Nous savons hélas que des chiens seront également souvent utilisés pour retrouver autant des esclaves en fuite que des évadés durant la ségrégation…
Mais la chanson la plus célèbre sur ce thème est évidemment l’œuvre de Robert Johnson, qui enregistra le 20 juin 1937 son génial Hellhound on my trail, dans laquelle il évoque un chien infernal à ses trousses. Mais d’autres bluesmen pourraient l’avoir influencé, à commencer par Sylvester Weaver, qui signe près de dix ans plus tôt, le 27 novembre 1927, Devil blues, qui parle lui de plusieurs molosses (hellhounds) qui l’ont pris en chasse. Le 10 janvier 1931, dans Howling Wolf blues n° 3, J. T. « Funny Paper » Smith reprend la phrase « hellhound on my trail » qui donnera donc son titre au morceau de Robert Johnson. Enfin, Skip James en 1931 (Devil got my woman, sans doute la plus proche de la version de Johnson), Kansas Joe McCoy en 1934 (Evil devil woman blues) et Johnny Temple en 1935 (The evil devil blues) développeront des thèmes mélodiquement similaires, sans toutefois citer ouvertement le hellhound…
(*) Rubrique réalisée avec entre autres sources les archives de la Bibliothèque du Congrès à Washington et les livres Talkin’ that talk – Le langage du blues et du jazz de Jean-Paul Levet (Outre Mesure, 2010), Barrelhouse Words – A Blues Dialect Dictionary de Stephen Calt (University of Illinois Press, 2009) et The Language of the Blues: From Alcorub to Zuzu de Debra Devi (True Nature Records and Books, 2012).
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