© : Big Legal Mess Records.

S’agissant de Piedmont Blues (ou East Coast Blues), en restant dans la période de l’entre-deux-guerres, on cite volontiers Blind Blake, Blind Willie McTell, Blind Boy Fuller, Barbecue Bob, Curley Weaver, Gary Davis, Josh White, pas nécessairement Buddy Moss, qui fut pourtant un des artistes les plus influents de l’époque. Mais son parcours chaotique, brisé par un long séjour en prison puis la Seconde Guerre mondiale, l’empêcheront de mener une carrière discographique à la hauteur de son talent. Il naît Eugene Moss le 16 janvier 1914 à Jewell, Géorgie, à mi-chemin entre Augusta et Atlanta, où il apprend l’harmonica très jeune. Il se produit d’abord lors de soirées à Augusta, puis apparaît en 1928, à quatorze ans, dans les rues d’Atlanta.

En 1933. © : courtesy Paul Oliver.

Cette précocité lui vaut d’être remarqué par Curley Weaver et Barbecue Bob, tous deux chanteurs et guitaristes, et surtout de graver à Atlanta le 7 décembre 1930, à seulement seize ans, ses premières faces au sein de leur groupe, les Georgia Cotton Pickers. Moss se contente alors de jouer (fort bien) de l’harmonica. Trois ans plus tard, du 17 au 19 janvier 1933, il y a donc tout juste quatre-vingt-dix ans, il retrouve les studios, cette fois à New York, pour une séance particulièrement prolifique avec ses premiers morceaux sous son nom. Durant ces trois jours, outre quelques plages restées inédites pour ARC avec le chanteur et guitariste Fred McMullen, sans que la participation de ce dernier comme de Moss soit clairement établie, il se produit principalement avec Curley Weaver, remplaçant progressivement l’harmonica par la guitare. Le 19 janvier 1933, il signe une dizaine de faces dont It must have been her, Hard times blues, Tampa Strut (sous le nom des Georgia Boys), Jealous hearted man (avec McMullen), Hard road blues

Buddy Moss, au centre, lors de sa détention en 1941 à Greene County, Géorgie. © : Jack Delano / Library of Congress.

Toujours en 1933, il joue aussi avec Blind Willie McTell, mais ils n’enregistrent pas ensemble, même si Moss est cité sur une séance inédite de Vocalion le 19 septembre 1933, là encore sans certitude. L’année suivante, outre une petite vingtaine de chansons magnifiques en solo, il trouve en Josh White, né à peine vingt-six jours plus tard que lui, un adepte du blues de la Côte Est tout aussi brillant et jeune que lui, les deux hommes, faut-il le rappeler, n’ayant alors que vingt ans… En 1935, Buddy Moss sort encore quelques singles en solo. Tous ses enregistrements de 1933 à 1935, bien que réalisés pour une multitude de labels, se vendent très bien et font de lui le bluesman le plus populaire de toute la Côte Est. À vingt et un ans, les portes s’ouvrent vers une carrière parmi les plus prometteuses de l’histoire du blues.

Buddy Moss en 1941 à Greene County, Géorgie. © : Jack Delano / Library of Congress.

Mais tout bascule début 1936, quand Buddy Moss est arrêté pour le meurtre de sa femme qu’il aurait frappée avec sa guitare, et dès lors condamné à une longue peine de prison. Grâce à sa bonne conduite et l’insistance de John Baxter Long, producteur de Blind Boy Fuller qui cherche à remplacer ce dernier malade depuis 1940, Moss est libéré sur parole en 1941, l’année où décède aussi Fuller. Moss, qui n’a jamais cessé de se produire en prison, chante et joue peut-être encore mieux qu’avant ! Il enregistre fin octobre 1941 avec Brownie McGhee et Sonny Terry, mais moins de deux mois plus tard, l’attaque japonaise sur Pearl Harbor signifie l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, plongeant l’industrie discographique dans la crise.

© : Discogs.

Gagné par la désillusion, Moss se met en retrait de la scène musicale tout en continuant de se produire localement, mais il doit accepter pour survivre de petits boulots. Il travaillera ainsi dans une exploitation de tabac, comme chauffeur routier et comme liftier. Le Blues Revival des années 1960 et ses retrouvailles avec Josh White favoriseront son retour, et vingt-cinq ans après ses derniers enregistrements, il grave le 10 juin 1966 pour Biograph (lire notre article du 6 janvier 2023) « Rediscovery », un album absolument somptueux qui donne bien des regrets suite à son long silence… Ce formidable bluesman, au jeu de guitare d’une rare maîtrise et doté d’une voix puissante mais naturelle, incarna mieux que bien d’autres le fameux Piedmont Blues. Malgré des prestations toujours consistantes lors de festivals, il n’enregistrera plus, mais ses sessions des années 1933-1935 sont intemporelles. Buddy Moss nous a quittés le 19 octobre 1984 à l’âge de soixante-dix ans.

En 1978 avec Louis Marshall « Grandpa » Jones. © : Dr. B.Good.

Voici maintenant une sélection de chansons, dont plusieurs proviennent de la séance du 19 janvier 1933.
Diddle-Da-Diddle le 7 décembre 1930. Première chanson sur laquelle Buddy Moss apparaît (à l’harmonica, avec Curley Weaver et Barbecue Bob).
Cold country blues le 17 janvier 1933, première chanson de Buddy Moss sous son nom, qui chante et joue de la guitare.
Hard times blues le 19 janvier 1933, avec Curley Weaver.
Tampa strut le 19 janvier 1933 avec les Georgia Browns (Curley Weaver et Fred McMullen).
Jealous hearted man le 19 janvier 1933 avec Fred McMullen.
Hard road blues le 19 janvier 1933 avec Curley Weaver.
Going to your funeral in a vee eight Ford le 21 août 1935, solo.
Mistreated boy le 28 août 1935, avec Josh White.
I’m sittin’ here tonight le 23 octobre 1941 avec Brownie McGhee et Sonny Terry.
« Rediscovery », album intégral du 10 juin 1966.
« Buddy Moss live le 29 octobre 1977 à Barea College », vidéo rare du bluesman.