Till et sa mère à Chicago en 1955, juste avant de partir dans le Mississippi. © : Chicago Tribune / Getty Images.

Vous connaissez sans doute l’atroce histoire d’Emmett Till (1941-1955), cet adolescent afro-américain sauvagement torturé et assassiné parce qu’il avait sifflé une femme blanche. Né le 25 juillet 1941 à Chicago, il est envoyé en 1955 en vacances chez son grand-oncle à Money, Mississippi, dans le Delta. Le 24 août, avec d’autres jeunes de son âge, il se rend dans une épicerie tenue par un couple de Blancs, Carolyn et Roy Bryant. Till, élevé dans une ville du nord, ne mesure pas la férocité de la ségrégation dans cette région rurale du sud. Un peu frondeur, il ne peut s’empêcher de siffler Carolyn Bryant, ce qui effraie ses copains mais surtout l’épicière. À partir de là, les événements se bousculent. Carolyn Bryant affirmera qu’il lui avait parlé vulgairement et qu’il essaya même de la prendre par la taille, mais elle changera souvent de version. Quant aux autres adolescents présents, tous Noirs, ils avoueront qu’ils durent forcer Till à sortir du magasin.

© : The Sun / Getty / Associated Press.

Carolyn Bryant ne se prive évidemment pas de relater l’incident à son mari quand il rentre trois jours plus tard. Entre 2 et 3 heures du matin le 28 août, Roy Bryant et son beau-frère John William Milam enlèvent Emmett Till devant son grand-oncle et sa grand-mère impuissants, les deux hommes étant bien entendu armés. Ils repassent par l’épicerie pour « recruter » deux Afro-Américains pour les obliger à les aider dans leur basse besogne, mais ceux-ci nieront toujours toute participation. En tout cas, Bryant et Milam emmènent Till dans une grange à Drew où ils s’acharnent sur lui à coups de crosse de révolver, l’achèvent d’une balle dans la tête et jettent son corps dans la rivière Tallahatchie. Sa dépouille martyrisée, son visage est littéralement broyé, est retrouvée trois jours plus tard.

La tombe d’Emmett Till à Alsip, Illinois. © : Tannen Maury / EPA.

Devant un jury uniquement composé de Blancs, les deux accusés nient les faits, sont reconnus non coupables et acquittés le 23 septembre 1955. Dès lors, ils sont protégés par la Double Jeopardy Clause, qui dit que l’on ne peut être jugé deux fois pour le même délit. L’année suivante, ils reconnaissent cette fois les faits et vendent leur histoire au magazine Look moyennant 4 000 dollars… Ils ne seront jamais plus inquiétés et mourront en 1980 et 1994. Cet événement au fort retentissement tient une place centrale dans l’émergence de la lutte pour les droits civiques. En 1996, le réalisateur Keith Beauchamp mène un enquête très poussée qui débouche sur la sortie de son film The Untold Story of Emmett Louis Till en 2003, et le ministère de la Justice rouvre le dossier l’année suivante.

Les parents d’Emmett Till devant le visage ravagé de leur fils dans son cercueil. © : David Jackson.

Nouveau rebondissement en 2007, quand Carolyn Bryant avoue à l’historien Timothy B. Tyson qu’il ne l’a jamais touchée et que rien ne justifie ce qu’il a subi. Dix ans plus tard, le 31 janvier 2017, Tyson publie son livre, intitulé The Blood of Emmett Till (Simon & Schuster). Peu après, le 23 février 2017, le grand jury du comté de Leflore réexamine le dossier pour le refermer, faute de preuve… Cette affaire inspirera de nombreux artistes, dont Bob Dylan avec The Death of Emmett Till (1962) et Eric Bibb avec Emmett’s ghost (2021).

 

John William Milam, Ray Bryant et Carolyn Bryant. © : Associated Press.