© : Ted Reed / Facebook.

Depuis 2016, Saint-Louis accueille le National Blues Museum. Moins réputée que Chicago, la grande ville du Missouri tient pourtant une place importante dans l’histoire du blues, et ce depuis les origines. En effet, dès 1914, W.C. Handy nomma une de ses plus célèbres compositions The Saint Louis blues, son école de blues pianistique fut florissante dans les années 1920 avec des artistes comme Victoria Spivey, St. Louis Jimmy Oden, Roosevelt Sykes ou encore Speckled Red, et Lonnie Johnson y gagna en 1925 un « concours » de blues au départ de sa fabuleuse carrière. Quant au chanteur et harmoniciste Big George Brock, il fit partie des principaux acteurs de la scène blues de Saint-Louis pendant sa très longue carrière, soit durant quelque soixante-dix ans.

Big George Brock, Willie Foster et Big Bad Smitty. © : Roger Stolle / Facebook.

Né George Brock le 16 mai 1932à Grenada, Mississippi (d’où viennent également Magic Sam et Magic Slim), il grandit sur une plantation proche de Clarksdale, en plein Delta. Contraint de travailler dans les champs de coton dès l’âge de huit ans car ses parents sont métayers, il apprend l’harmonica à la même époque. À l’adolescence, du côté de Mattson entre Clarksdale et Tutwiler, il aurait côtoyé Muddy Waters et joué avec lui, ainsi que Howlin’ Wolf et plus tard Memphis quand il vivait à Walls, cette fois aux portes de Memphis. Il importe toutefois de préciser que des zones d’ombre subsistent sur cette partie de sa biographie, même s’il est établi qu’il se produisait déjà localement. Quoi qu’il en soit, il finit par s’installer à Saint-Louis en 1950.

Sonny Liston, champion du monde de boxe battu par Big George Brock dans sa jeunesse. © : The Ring Archive / Getty Images.

Dans un premier temps, il ne se dédie pas seulement à la musique et s’essaie à la boxe, favorisé par un physique impressionnant. En 1952, il sert de sparring-partner à un certain Sonny Liston, qui a choisi la boxe pour échapper à la délinquance qui l’avait précédemment conduit en prison. Liston défie Brock qui accepte et le bat en deux reprises. Dix ans plus tard, le 25 septembre 1962, Liston deviendra champion du monde des poids lourds en battant son compatriote Floyd Patterson. Il conservera son titre jusqu’au 25 février 1964, défait par Cassius Clay qui ne se faisait pas encore appeler Mohammed Ali ! De nos jours, Liston est toujours considéré comme un des dix plus grands boxeurs de l’histoire des poids lourds…

Avec B.B. King. © : Roger Stolle / Facebook.

Mais Brock ne poursuit pas dans la même voie. Il s’aperçoit que les nombreux clubs de Saint-Louis lui permettront de mieux gagner sa vie, fonde son premier groupe, Big George & The Houserockers (dont fera brièvement partie Albert King) et son propre club, Club Caravan. De grands bluesmen s’y produisent, Muddy Waters propose même à Brock de le suivre à Chicago pour le mettre en relation avec les propriétaires du label Chess, mais faute de garantie de percevoir des royalties, il décline la proposition. Plus en confiance à Saint-Louis, il ouvre d’autres clubs dans les années 1960 et 1970 et vit correctement dans le milieu de la musique, même si ses activités l’empêchent d’enregistrer. Mais dans les années 1980, ses affaires marchent moins bien et il se rend plus souvent à Clarksdale où il a des attaches familiales, il est en effet l’oncle des bluesmen James « Super Chikan » Johnson et le beau-frère de Big Jack Johnson.

Avec Hubert Sumlin, Ground Zero, Clarksdale. © : Roger Stolle / Facebook.

Il parvient à sortir un album autopublié en 1987 (il a donc cinquante-cinq ans), « Should Have Been There », puis rencontre à Saint-Louis au milieu des années 1990 un jeune passionné de blues, Roger Stolle. Ce dernier s’installe ensuite à Clarksdale, où il ouvre Cat Head Delta Blues & Folk Art, une boutique qui lui sert de base pour œuvrer aussi comme écrivain, producteur, réalisateur, organisateur de concerts… Après un autre album passé inaperçu, « Front Door Man »pour le label Tee-Ti en 1999, il signe pour Cat Head, le label de Stolle, avec lequel il va réaliser trois albums à partir de 2005, « Club Caravan », « Round Two » et « Live At Seventy Five ». En 2006, toujours sous l’égide de Cat Head, il fait l’objet du documentaire de Damien Blaylock Hard Times, et sort un autre CD en 2007 pour APO, « Heavyweight Blues ».

À Chicago, 2010. © : Brigitte Charvolin / Soul Bag.

Toutes ces réalisations révèlent un artiste entier et généreux, toujours impliqué dans son blues d’inspiration très rurale. Sa voix puissante, son jeu d’harmonica terrien à souhait, ses tenues soignées et son jeu de scène spectaculaire en font un artiste très demandé lors des festivals malgré son âge avancé. Heureux d’être ainsi reconnu, Brock ne cessera de se produire, de Saint-Louis à Clarksdale mais aussi lors de tournées internationales qui le mèneront en Europe et notamment en France. Big George Brock continuera de se produire à largement plus de quatre-vingts ans, mais après plusieurs mois de combat contre la maladie, il s’éteindra le 10 avril 2020, cinq semaines avant son quatre-vingt-huitième anniversaire.

Avec Roger Stolle, Clarksdale, 2019. © : Jicé Gretener / Facebook.

Voici maintenant quelques extraits en écoute.
« Should Have Been There » en 1987, son premier album en intégralité.
« Front Door Man » en 1999, son deuxième album en intégralité.
Concert intégral en 2007 lors du Bellinzona Piazza Blues.
Concert intégral en 2014 lors du Bogalusa Blues Festival.